Les entraves à l'exercice du journalisme ne sont pas uniquement l'apanage des régimes autoritaires. Le manque de transparence et, dans certains cas, l'opacité des titulaires de charges publiques représentent les principaux obstacles à la liberté de presse observés au Québec.

Les médias québécois bénéficient d'une marge de manoeuvre enviable par rapport à d'autres pays dans le monde; les journalistes ne paient pas leurs coups de plume de leur vie ou de leur liberté. Il faut leur être profondément reconnaissants d'avoir mis au jour un si grand nombre de questions d'intérêt public au cours des dernières années, à commencer par les scandales dans l'industrie de la construction. Cet apport est inestimable pour notre vie démocratique.

La situation n'en demeure pas moins imparfaite, comme en témoigne l'actualité des derniers mois.

À l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, ce 3 mai, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) invite le public et les journalistes à la vigilance. Les atteintes à la liberté de se presse se produisent malheureusement dans l'indifférence des principaux responsables, qui sont à la fois juge et partie.

Depuis 2010, nous avons publié trois rapports portant sur la relation tendue entre les élus municipaux et les journalistes, sur les politiques de communications gouvernementales et sur la révision de la Loi sur l'accès à l'information et la protection des renseignements personnels. Exception faite d'un récent travail de réflexion prometteur avec le Secrétariat à la communication gouvernementale, nos appels du pied en faveur de la transparence et de la reddition de comptes reçoivent un accueil tiède.

Nous constatons notamment:

-  une centralisation des communications gouvernementales, tant à Ottawa qu'à Québec, faisant en sorte qu'il est plus difficile d'avoir accès aux détenteurs de l'information. La situation est particulièrement critique à Ottawa, où les journalistes doivent régulièrement se contenter de réponses par courriel dépourvues de sens pour compléter leurs reportages;

- des délais et une judiciarisation du traitement des demandes d'accès à l'information. À cet égard, il n'est pas banal qu'une société d'État, Hydro-Québec, ait initié la charge pour empêcher les journalistes de se représenter eux-mêmes en révision devant la Commission d'accès à l'information;

- des difficultés à obtenir de certains élus municipaux habitués de régner sans partage des documents publics tels que les sommaires décisionnels ou les ordres du jour des réunions du conseil;

- une application inégale et insatisfaisante de la nouvelle politique de divulgation automatique des documents publics;

- Des dérapages policiers lors des manifestations étudiantes qui ont mené à l'arrestation de deux représentants de La Presse, sans oublier des gestes de vandalisme ciblant les médias, des tentatives d'intimidation et des agressions physiques de la part de manifestants à l'encontre de journalistes identifiés comme tels;

- des enquêtes de la Sûreté du Québec (SQ), l'une portant sur le journaliste Éric Yvan Lemay, qui a été la cible d'une perquisition et d'une filature abusives, l'autre visant les officiers responsables des fuites dans les médias sur l'affaire Davidson.

Vers un gouvernement ouvert

Dans le cadre de la révision quinquennale de la Loi sur l'accès à l'information, la FPJQ a suggéré une refonte majeure axée sur l'approche du «gouvernement ouvert». Nous invitons le premier ministre Jean Charest à se commettre publiquement en faveur de la transparence de l'État, comme l'a fait le président américain Barack Obama lors de son élection.

Le Québec accuse un sérieux retard sur d'autres pays occidentaux en matière de «gouvernement ouvert». Il faut un coup de barre pour rendre l'État plus transparent, en facilitant et en accélérant la divulgation et la transmission de l'information détenue par l'État.

Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et même en Colombie-Britannique, les gouvernements ont compris l'importance de la transparence pour rétablir la confiance du public à l'égard des institutions démocratiques et atténuer le climat de méfiance et de suspicion de la population à l'égard des institutions démocratiques. Il est grandement temps que le Québec fasse lui aussi son entrée dans le cercle des démocraties du XXIe siècle.

La FPJQ invite non seulement le gouvernement à se positionner, mais aussi les partis d'opposition qui aspirent à prendre le pouvoir à l'aube d'une inévitable campagne électorale. Les électeurs sont en droit de savoir s'ils ont l'intention d'encourager ou de restreindre la circulation de l'information. Les journalistes veulent aussi savoir de quel côté se rangera la classe politique. Sera-t-elle l'alliée ou le fossoyeur de la liberté de presse?