Aussi touffue que le roman de Dostoïevski, l'histoire semble aussi conçue pour le théâtre chinois où symboles et non-dits permettent au spectateur de vraiment apprécier l'intrigue.

Le 10 avril dernier, Bo Xilai, membre influent du Politburo, est exclu de son poste et du Comité central du Parti communiste chinois. Son épouse Gu Kailai est accusée, le même jour, du meurtre d'un ressortissant britannique. La population chinoise attentive comprend immédiatement que la succession politique en Chine, prévue pour l'automne prochain, va être impitoyable.

À l'exception de l'accusation de meurtre, l'annonce surprend peu. Bo Xilai, secrétaire du parti et maire tout puissant de la ville de Chongqing, avait déjà été démis de ses fonctions le 15 mars. L'affaire a fait alors grand bruit et a été en quelque sorte une suite attendue de la mise à l'écart, en février, de l'adjoint de Bo Xilai, Wang Lijun, chef redouté de la police de la ville, affecté par trop de «surmenage et de stress». Le diagnostic n'était peut-être pas incongru, car ce dernier avait passé, le 6 février, de nombreuses heures au consulat américain de Chengdu.

Dans une longue galerie de personnages, mentionnons seulement la «présumée victime» de l'épouse, le Britannique Neil Heywood, décédé à Chongqing en novembre 2011. Mais là doivent s'arrêter les spéculations à propos des liens entre tous les acteurs du drame, car la désinformation est aujourd'hui maximale.

Revenons à l'essentiel: pourquoi toute cette gesticulation dramatiquement médiatisée par les autorités chinoises? Les régimes autoritaires ne savent pas changer facilement de dirigeants et la Chine n'échappe pas à cette règle. En revanche, il est souvent facile d'effacer avec discrétion les traces des luttes féroces pour le pouvoir.

Dans l'affaire Bo Xilai, le Parti communiste chinois n'a pas eu d'autre choix que celui d'opter pour une «transparence» planifiée. Deux raisons s'imposent, la première de circonstance, la seconde, plus fondamentale, touche à l'avenir de la société chinoise.

Dès qu'a été confirmé le contact intriguant entre Wang Lijun et le consulat américain, l'affaire est devenue très grave pour le Parti communiste chinois et pour le maire Bo Xilai. La deuxième intrusion étrangère a été celle de la Grande-Bretagne qui a exigé que soit reprise l'enquête sur les circonstances de la mort de Neil Heywood. Les autorités chinoises ont alors pris les devants en publicisant l'affaire avant qu'elle ne le soit à partir de l'étranger.

Malgré tout ce qui est dit, ou le sera, à propos des rapports habituels entre pouvoir et argent, corruption et transferts de fonds outremer, que cela soit avéré ou non, il reste que Bo Xilai dérangeait par son néo-maoïsme flamboyant qui forçait l'admiration de millions de partisans.

Concepteur du «modèle de Chongqing», il avait mis en place un système qui retournait aux fondamentaux du développement autonome, aux valeurs du collectivisme et aux «chants rouges» patriotiques. Le modèle contredisait l'approche libérale dominante d'une économie de marché orientée vers l'exportation. Bo Xilai atténuait aussi les inégalités sociales et réduisait ainsi le nombre des manifestations.

Avec son chef de police, il avait entrepris une éradication assez brutale de la corruption dans la ville. Tout le courant libéral du parti a observé, avec circonspection, cette mégapole intérieure qui donnait des leçons à ces villes littorales rutilantes de prospérité qui contribuent à faire en sorte que 0,2% de la population contrôle 70% de la richesse en Chine.

Le modèle a beaucoup apporté à la ville de Chongqing. Bo Xilai briguait - et avait des appuis pour l'obtenir - une place au comité permanent du Politburo, parmi les neuf personnes les plus puissantes de Chine. Le rival est désormais complètement écarté.