C'est toujours avec plaisir que j'ai croisé Christian Lépine plusieurs fois ici et là à Montréal. C'est un homme chaleureux, discret et très sympathique, certainement efficace, puisqu'il a occupé plusieurs fonctions de responsabilité au cours de sa brillante carrière ecclésiastique.

Naturellement, depuis sa nomination, on traque ses positions officielles sur l'avortement et la sexualité, les deux obsessions de la sphère publique québécoise en ce qui a trait à son rapport à l'Église catholique. On pourra rétorquer qu'il s'agit en fait des obsessions de l'Église catholique. Je m'étonne qu'on s'étonne qu'il soit connu pour ses positions pro-vie et son discours sur la chasteté. C'est pourtant la position officielle de l'Église catholique depuis plusieurs décennies, en dépit de débats internes âpres et persistants. Comment peut-on s'étonner que l'archevêque de Montréal défende les positions de son institution? C'est comme être surpris que le premier ministre du Canada soit fédéraliste.

La grande question au départ de cet épiscopat est la suivante: comment Monseigneur Christian Lépine élaborera-t-il son discours public au Québec? Certaines franges d'intellectuels d'ici sont plus hostiles que jamais aux religions qui n'accordent pas l'égalité aux femmes dans leurs organisations, à celles qui tentent de tenir un discours limitant les libertés individuelles. Monseigneur Marc Ouellet en a fait les frais à plus d'une reprise. On ne peut certainement pas dire qu'il s'est distingué par son sens de la diplomatie. C'est un secret de polichinelle qu'il a suscité les foudres de certains de ses pairs évêques québécois. Par ailleurs, au sein des catholiques qui demeurent engagés, on trouve ceux qui souhaitent cette fermeté, d'autres qui s'en trouvent embarrassés. Difficile pour un leader de satisfaire tout le monde, dans un contexte où toute discussion sur la religion est exacerbée.

Mais par-delà ces considérations, la question demeure. Est-ce que Mgr Lépine fera le choix d'aborder de front ces questions les plus litigieuses, et comment le fera-t-il? Il jouit d'une bonne expérience pastorale et semble avoir été apprécié des paroissiens «ordinaires». Faut-il rappeler que les questions litigieuses sont rarement abordées dans les églises du Québec? On y parle des mille et une choses de la vie et de la spiritualité chrétienne, très rarement de ces questions éthiques sur lesquelles s'acharnent les médias. De plus, l'Église catholique a cette longue expérience d'un paradoxe: elle défend des doctrines fermes publiquement, mais fait d'importantes concessions pastorales sur le terrain. Comment le nouveau chef de l'Église de Montréal soutiendra-t-il ce paradoxe, tissage subtil d'exigence, de vérité, de charité, d'humilité et de miséricorde? On peut regretter que les débats publics en restent toujours à ces pierres d'achoppement, alors que tant de questions agitent toujours la conscience contemporaine: les rapports entre la science et Dieu, le sens de la vie, l'expérience spirituelle, et ainsi de suite. Mgr Lépine a un grand avantage par rapport à Mgr Ouellet en ce qu'il connaît mieux le Québec. Par contre, il a peu d'expérience publique. Choisira-t-il la voie de la diplomatie pastorale, sera-t-il un pasteur conciliant et ouvert aux discussions, respectueux des débats en cours? Sera-t-il offensif sur le terrain éthique ou abordera-t-il des défis communs à tous les citoyens, les difficultés contemporaines de la quête spirituelle, par exemple, et la spécificité du christianisme à cet égard? Il succède à un archevêque aimé et populaire qui a certes soutenu les positions officielles de son institution, mais avant tout tenu son rôle de pasteur de manière habile. Bref, on aura peu de surprises sur le plan doctrinal, mais davantage sur le terrain de l'attitude publique. On peut au moins espérer qu'il continuera de soutenir indéfectiblement le Canadien de Montréal. Les prières de Mgr Turcotte n'ont servi à rien cette année, peut-être était-il trop distrait en fin de mandat.