Les Nations unies ont choisi cette année de souligner la Journée mondiale de l'eau (22 mars) à travers le thème de « l'eau et la sécurité alimentaire ». Et pour cause. Produire de la nourriture est de loin le principal usage que nous faisons de l'eau. Arriverons-nous à nourrir les centaines de millions d'humains qui nous rejoindront dans les prochaines décennies sans abuser de l'eau de la planète? Manger moins de viande pourrait nous y aider.

Si la planète a soif, c'est parce que le monde a faim. En effet, 70% de nos prélèvements sur les cours d'eau, lacs et nappes souterraines de la planète sont destinés à l'agriculture. Les 20% de terres cultivées qui sont irriguées produisent 40 % de notre nourriture. En outre, après usage, l'agriculture restitue peu d'eau aux sources où elle puise. L'eau évaporée et transpirée par les cultures n'est pas directement réutilisable comme peut l'être, par exemple, celle ayant servi à produire de l'électricité. Sous cet angle dit de la consommation d'eau (par opposition au simple prélèvement), et en tenant compte de l'eau de pluie ainsi que l'eau nécessaire à la dilution de la pollution émise, c'est 92% de l'« empreinte hydrique » de l'humanité qui est d'origine agricole.

En d'autres termes, nous «mangeons» bien plus d'eau que nous en buvons. Alors que quelques litres quotidiens sont suffisants pour hydrater un individu, l'empreinte hydrique de la nourriture qu'il consomme en une journée oscille entre 2000 et 5000 litres, selon le régime alimentaire. La production d'un kilo de tomates nécessite en moyenne la consommation de 210 litres d'eau et celle d'un kilo de pain (blé), 1610 litres. L'empreinte hydrique moyenne d'un kilo de boeuf s'élève à 15 400 litres d'eau de pluie, d'irrigation, d'abreuvement, d'entretien et pour diluer la pollution émise. C'est 4330 litres pour un kilo de poulet.

Ces repères suggèrent que ce que nous mettons - ou pas - dans nos assiettes sera un élément déterminant de notre capacité à atteindre la sécurité alimentaire mondiale sans abuser de l'eau et des écosystèmes qu'elle soutient. Une alimentation faible en viande permettrait de nourrir plus de gens avec moins d'eau. Et qu'importe le régime alimentaire, réduire le gaspillage revient à ménager l'eau. Environ 30% de la nourriture produite dans le monde serait perdue ou gaspillée chaque année.

Évidemment, la prudence est de mise concernant les généralisations : les empreintes hydriques moyennes cachent de grandes disparités dues à la diversité des conditions d'élevage et de culture. Et puis il n'y a pas que la taille de l'empreinte qui compte, mais aussi l'endroit où elle est laissée. L'élevage industriel de boeuf nourri aux céréales irriguées en milieu aride est certes un usage contestable de l'eau. Par contre, élever des boeufs broutant l'herbe de pâturages impropres à l'agriculture permet de mettre en valeur une eau de pluie qui n'aurait pu être affectée à la production de nourriture autrement.

Cela dit, que l'on mesure la chose en volume d'eau par masse de denrée, par calorie ou par gramme de protéines généré, il fait peu de doute que la consommation de viande est généralement la source d'une plus grande pression sur les ressources en eau de la planète que celle de céréales, de fruits et de légumes.

Bien sûr, l'atteinte de la sécurité alimentaire mondiale ne dépend pas seulement d'une meilleure utilisation de l'eau. On aura beau produire davantage de calories et nutriments à partir de ressources en eau limitées, encore faut-il que la nourriture se rende aux affamés, pour la plupart affligés par la pauvreté. N'empêche, restreindre notre consommation de viande mérite d'autant plus considération que les bénéfices potentiels dépassent la question de l'eau. Manger moins de viande permettrait notamment de diminuer nos émissions de gaz à effet de serre, de réduire l'incidence de certains problèmes de santé et d'améliorer le bien-être des animaux d'élevage. Autrement dit, il s'agit d'un pas vers la durabilité pour notre société.