Je suivrai avec attention la plus importante poursuite de l'histoire du Québec qui s'est amorcée cette semaine: en attente depuis près de 14 ans, deux recours collectifs tenteront de faire reconnaître aux grandes compagnies de tabac le terrible impact que leur produit a eu sur la santé de centaines de milliers de Québécois.

J'ai commencé à fumer à 12 ans. J'ai fumé la cigarette pendant plus de 32 ans. J'ai cessé pour une période de deux ans à la fin des années 90 pour ensuite retomber dans ma dépendance de plus belle. Mais j'ai fini par écraser pour de bon en 2009 après l'annonce d'un terrible diagnostic: cancer de la langue de stade 2.

J'avais un mal de gorge tenace et une bosse dans le côté gauche du cou. J'ai décidé de consulter car la douleur ne cessait pas. Après une série d'examens, de biopsies et de scanneurs, j'ai reçu le diagnostic comme une tonne de briques. J'ai dû arrêter de travailler car j'avais de la douleur au niveau de la mâchoire et des oreilles, qu'il m'était pénible de parler et que je travaillais justement au service à la clientèle au téléphone.

Dès la première biopsie, on m'a avisé que je devais cesser de fumer immédiatement. Ce que je n'ai pas fait, au contraire: j'ai doublé ma consommation. À ma deuxième biopsie, mon médecin m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit: «De grâce, il faut que vous arrêtiez de fumer!». Ce que j'ai fait le lendemain, non sans avoir auparavant fumé quand même toute la journée et la soirée...

Il m'a fallu apprendre à mes deux enfants que j'étais atteinte d'un cancer, eux qui avaient perdu leur père un an et demi plus tôt. C'est toute une annonce à faire à ses enfants quand ils vivent déjà un deuil très difficile...

Le 19 avril 2010, j'ai commencé mes traitements, soit cinq jours de radio et une chimio toutes les trois semaines. Dès le premier traitement, j'ai été très malade. La deuxième semaine, on a dû m'hospitaliser tellement j'étais faible.

Plus les jours avançaient, plus je faiblissais et plus je perdais mes capacités physiques. J'étais incapable de me nourrir: j'ai été gavée par voies nasales pendant un mois et demi, sans pouvoir boire d'eau. Il m'était impossible d'avaler ma salive, trop concentrée: j'ai dû apprendre à cracher. Dans l'incapacité de parler, je communiquais sur papier. Mon visage a subi d'importantes brûlures dues à la radiothérapie. J'ai été souvent en isolement car j'étais très faible, et j'ai passé les 3 dernières semaines de mes traitements à l'hôpital.

Aujourd'hui, deux ans plus tard, ma vie a changé. Je ne me nourris pas comme avant, je ne pourrai plus jamais manger des aliments secs, car la radiothérapie a brûlé mes glandes salivaires. Mon goût aussi a changé: j'ai totalement perdu la capacité de goûter le sucré... quelle perte de plaisir! Tout ça pour avoir voulu, quelque part entre l'enfance et l'adolescence, avoir l'air cool, rebelle, dans le coup. Si j'avais su!

J'ai aussi dû changer d'emploi pour ne pas avoir à parler au téléphone toute la journée. Tout ça à cause de quoi? D'une terrible dépendance à un produit inutile, dangereux et mortel: le tabac.

Quand je vois les riches propriétaires et avocats des compagnies de tabac se présenter en cour et continuer à nier l'impact de leur produit fétiche sur la santé des gens, ça me bouleverse et me scandalise.

Je suis de tout coeur avec ces milliers de femmes et d'hommes qui mènent à bout de bras ces recours collectifs. Je leur souhaite bon courage.