J'ai été estomaqué à la lecture du cahier Enjeux du 21 janvier dernier intitulé «La technologie dans nos vies, branché 24/7». J'ai depuis longtemps le sentiment grandissant que la technologie, loin de servir nos intérêts, nous confine plutôt à un état de servitude par la création de besoins artificiels qui, à long terme, nous rendent moins heureux. Mais attention, il s'agit là d'un esclavage confortable! En effet, dans l'inconfort, vous et moi serions les premiers à crier à l'injustice n'est-ce pas?

Or ce n'est pas le cas. Personne ne crie. On s'enlise passivement toujours un peu plus dans l'instrumentalisation de nos vies effrénées. À preuve, le cahier relate le phénomène grandissant des villes dites intelligentes. «Imaginez une ville dans laquelle les bâtiments seraient reliés à un réseau de fibres optiques ultra-puissant [...] Les résidents pourraient communiquer entre eux, consulter leur médecin, participer à une réunion de travail ou s'entretenir avec l'enseignant de leur enfant sans jamais quitter la maison». Certains voient en ces villes la solution miracle. Moi, je m'indigne plutôt du manque de contacts humains et de chaleur. Est-ce le destin de l'être humain du 21e siècle d'être en communication constante avec ses semblables tout en étant privé de leur présence? Et comme l'a si bien chanté Daniel Bélanger, mes enfants sont-ils destinés à être «tous seuls ensemble»?

Je vois les effets délétères de la technologie partout autour de moi. Et croyez-moi, je suis bien placé pour le dire: je suis ingénieur informatique! Conflit d'intérêts, me lancerez-vous? Non, vous répondrais-je. La technologie n'est pas mauvaise en soi, et j'ai la chance de travailler pour une boîte très ouverte. Je peux donc choisir les projets sur lesquels je travaille. Non, la technologie n'est pas intrinsèquement mauvaise, c'est plutôt son application qui laisse à désirer. Parlant d'applications, un autre article du même cahier parle d'applications iPhone pour le moins loufoques : Fluxtream, MoodTracker et Replay. Ces applications permettent respectivement de répertorier toutes ses habitudes quotidiennes, de recenser ses états d'âme et de repasser le film de sa journée le soir venu. Quand on est déprimé, MoodTracker envoie automatiquement un message à nos amis Facebook les exhortant à nous envoyer un courriel hop la vie! C'est le comble de l'instrumentalisation et du désir de tout contrôler. On le sait, ce désir ne s'apaise pas. Une fois les choses contrôlées, il s'enflamme au contraire et complote alors contre nous pour nous amener à fixer toujours plus de paramètres, prévoir toujours plus de scénarios. C'est une maladie, et je m'inquiète de la rapidité avec laquelle cette épidémie se répand chez nos jeunes. Ils ne mettent plus la technologie à leur service, mais «se» mettent bel et bien au service de la technologie, devenant ainsi partie intégrante du système, enchaînés qu'ils sont au fil incessant de messages, de vidéos et de tweets.

Combien de temps leur reste-t-il pour établir de vraies relations humaines? Ont-ils la chance de connaître les joies d'un souper familial sans télévision où l'on s'écoute, où l'on se raconte? J'aimerais bien le croire, car je suis un nouveau papa et je lance mon petit garçon dans ce monde aux mille tentations. J'aimerais bien le croire, mais j'ai des doutes et je m'inquiète.

Si ma lettre vous rejoint, vous, parents qui comme moi, avez à coeur le bonheur de vos enfants, alors tous les espoirs sont permis. Crions ensemble à l'injustice et éteignons l'ordinateur aujourd'hui.