La campagne présidentielle française est-elle à ce point incompréhensible qu'elle mérite d'être qualifiée de «surréaliste», comme le suggère un article récent du correspondant à Paris du New York Times, John Vinocur?

En fait, la situation politique de la France mérite d'être examinée à la lumière de trois points principaux.

Le premier est la difficulté qu'éprouvent tous les responsables politiques, en cette période de crise économique et financière, à introduire d'autres thèmes et préoccupations que celles des réponses immédiates à apporter à cette crise. Le débat est en permanence surplombé par cet enjeu majeur, et le paradoxe est qu'il suscite des prises de position qui s'expliquent à très court terme, en fonction de l'actualité, alors qu'il faudrait se projeter vers l'avenir et proposer des solutions structurelles, à long terme.

Deuxième point: rarement le système des partis aura été aussi peu crédible, comme s'il était impuissant à affronter, précisément, les difficultés économiques et financières du moment. La droite est à la peine, derrière un président de moins en moins crédible, la gauche semble manquer de souffle et de clarté.

Dès lors, deux candidats extérieurs au système classique trouvent un espace pour capter un électorat grossissant. D'une part, Marine Le Pen, dont les orientations nationalistes, antieuropéennes, antieuro, hostiles aux immigrés et à l'islam, connaissent un fort écho. Et d'autre part François Bayrou qui, depuis l'élection présidentielle de 2007, se pose en incarnation d'un centre extérieur au système des partis alors qu'il a été dans le passé ministre. Bayrou est très européen et met en avant son attachement aux valeurs républicaines pour mieux se démarquer de la xénophobie et du racisme du Front national.

Marine Le Pen peut espérer séduire sur un mode populiste une partie de la droite classique, lasse de Nicolas Sarkozy, mais surtout un électorat populaire désorienté et désabusé; François Bayrou trouvera son électorat dans d'autres pans de la droite classique, acquis au réformisme et dans des milieux certainement plus éduqués, souvent chrétiens et généralement plus aisés. Il peut compter aussi sur des citoyens venus de la gauche très modérée qui ne se reconnaîtraient pas dans le programme ou le style de François Hollande.

Plus la crise est vécue comme dramatique, et Nicolas Sarkozy perçu comme impuissant, tandis que François Hollande reste très prudent dans ses propositions, et plus François Bayrou et Marine Le Pen progressent dans les sondages d'opinion, au point d'être susceptibles l'un ou l'autre d'être présents au deuxième tour. Certains commentateurs évoquent même l'idée d'un deuxième tour où ils s'affronteraient - l'hypothèse à l'heure actuelle semble peu réaliste.

Troisième point: contrairement à d'autres pays d'Europe fortement secoués par la crise, la France dispose, avec François Hollande et le Parti socialiste, d'une alternative sérieuse face à un pouvoir affaibli et inefficace. À suivre les sondages, le candidat socialiste est presque assuré de l'emporter s'il est présent au deuxième tour, et les élections législatives consécutives à la présidentielle devraient également être favorables à la gauche.

Dès lors, François Hollande n'a pas intérêt à aborder de front des dossiers clivants, y compris dans son propre camp, comme l'islam, l'immigration, le multiculturalisme, l'énergie. Il doit surtout apparaître comme capable d'exercer les plus hautes fonctions. C'est pourquoi son discours, jusqu'ici, est relativement peu consistant: une fois les élections passées, il est très vraisemblable que les débats s'ouvriront.

La France n'est pas emportée par un aveuglement surréaliste par rapport à sa situation: elle est dans une phase historique où tout est suspendu aux jeux politiciens qu'imposent les échéances électorales et la brutalité de la crise.