Pour un militaire, un transfuge correspond à un soldat qui déserte, passe à l'ennemi et trahit son pays, ce qui jadis pouvait entraîner la condamnation à mort ou la prison à perpétuité. Heureusement, qu'il en ait autrement dans la vie civile pour les transfuges politiques.

Pourtant, si la perspective d'une victoire pour les vire-capot sous une autre bannière politique constitue une motivation en soi, le taux de succès électoral des transfuges n'est pas impressionnant.  À titre d'exemple, Perry Ryan, député libéral de Toronto-Spadina, a quitté l'un des sièges libéraux les plus sûrs au Canada après un mandat de vingt ans pour se joindre aux conservateurs; ce qui devait finalement sonner le glas de sa carrière politique.

Ce qui nous interpelle sur la fréquence du comportement des transfuges ainsi que sur le contexte politique et éthique de cette décision de François Rebello et de Lise St-Denis.

Au Québec, depuis 1970, François Rebello est le 13e député à changer de formation politique, un chiffre qui généralement ne porte pas chance, alors qu'au Canada depuis 1921, la députée St-Denis est le 231e transfuge.

Par province, avec 103 transfuges, le Québec tient le haut du pavé. Le Parti conservateur se situe au premier rang avec 39 transfuges suivis par les indépendants 37, le Parti libéral 36 et le NPD 9, ce qui démontre que  la fidélité à ce parti social-démocrate est très élevée et que la décision de la députée NPD de St-Maurice est marginale.

Parallèlement à cette médaille d'or du Québec quant au nombre des transfuges, il est intéressant de constater que le Québec est la première province canadienne quant au nombre de divorces. Faut-il voir dans cette connexité de comportements une difficulté particulière pour les Québécois de demeurer fidèle et loyal à leur engagement voire à une perte de valeurs incrustées dans notre ADN collectif ou une simple coïncidence?

Mais, qui sont ces gens qui changent d'affiliation politique? Agissent-ils ainsi parce qu'ils se rendent compte qu'ils sont dans le mauvais parti? Ou parce que leur parti les a abandonnés? Quelles sont leurs véritables motivations? Tentons de répondre à ces interrogations en s'inspirant de l'analyse de Desmond Morton dans la Revue parlementaire canadienne de l'été 2006.

Selon l'auteur, «changer d'idée c'est faire preuve d'une certaine sagesse, celle d'admettre l'évidence. Toutefois, il est exceptionnellement rare que la décision d'un transfuge soit interprétée de cette façon.»

Aussi, la perspective d'affronter l'électorat sous la bannière d'un gouvernement ou d'un chef impopulaire, peut donner à réfléchir, ce qui peut expliquer le geste précipité et opportuniste du carriériste François Rebello qui adhère à la Coalition pour l'avenir du Québec, un parti qui ne comprend aucun élu sous sa bannière.

Par contre, vu son âge et son état de santé, la députée St-Denis ne se représentera probablement pas dans le comté de St-Maurice-Champlain sous la bannière libérale. D'autant plus que déjà de son domicile montréalais, elle considère le comté qui comprend une population de 97 893 personnes dont 79 959 électeurs comme étant beaucoup trop étendu avec une superficie de 37 295 km carrés.

Il est raisonnable de penser qu'après 10 ans de militantisme au sein du NPD, huit mois dans l'exercice de son mandat et suite à son appui à l'automne 2011 de Thomas Mulcair à la direction du NPD la motivation de la députée de St-Maurice, flattée par les chants séducteurs des sirènes libérales, repose davantage sur son désir de sortir de l'ombre en faisant un bras d'honneur au parti qui l'a vu naître et dans lequel elle ne pesait pas lourd, que sur son attachement aux valeurs défendues par le Parti libéral. Un parti rejeté par les électeurs québécois à la suite de l'enquête sur les commandites, ce qui correspond à 82% des électeurs ayant voté à l'élection dans St-Maurice-Champlain.

Si bien qu'aujourd'hui, la députée de St-Maurice ne représente plus que 11,89% des électeurs soit 5 670 électeurs ayant voté libéral alors que 18 628 ont voté pour le NPD. D'aucuns qualifient cette défection comme un véritable détournement démocratique.

Toujours, selon Desmond Morton, la plupart des députés qui quittent leur parti deviennent indépendants pendant quelques jours ou quelques mois, jusqu'à ce qu'ils se taillent une place au sein d'une autre formation politique et, parfois même, jusqu'à ce qu'ils réintègrent leur ancien parti.

Cette façon de faire habituelle des transfuges de devenir indépendant avant de changer de parti démontre le sérieux de leur démarche, ce qui n'a pas été suivi ni par François Rebello ni par Lise St-Denis. Tout s'est fait dans la précipitation. Ce qui nous amène à la légitimité du geste posé par les transfuges.

Si la décision de changer de parti n'est pas interdite par la loi, qu'en est-il de la légitimité et de l'éthique?

Ainsi, puisque les électeurs peuvent dorénavant voter à la fois pour un parti et un candidat, un député élu va-t-il à l'encontre de leurs intérêts lorsqu'il refuse de représenter le parti sous la bannière duquel il a été élu?

Un candidat est-il lié par les politiques du parti qu'il représente? Les électeurs peuvent-ils exiger des candidats qu'ils donnent l'heure juste dans leur publicité? Avant 1974, au Canada, les candidats étaient officiellement « indépendants » et une part importante de la campagne électorale était consacrée à graver dans la mémoire de l'électorat leur affiliation à un parti. Cela n'est plus nécessaire depuis que la Loi électorale a été modifiée en 1974. Peut-on souhaiter qu'on ira plus loin encore en interdisant à un candidat de changer d'allégeance politique?

Par respect des électeurs, les transfuges devraient-ils démissionner pour pouvoir ainsi mettre à l'épreuve leur nouvelle allégeance à l'occasion d'une élection partielle? D'aucuns s'y opposent en raison des coûts qui en découlent.

La question se pose toujours, puisque certains partisans déplorent toujours la défection d'un élu, alors que d'autres voient d'un bon oeil une conversion qu'ils considèrent positive. Mais, à  l'évidence, force est de reconnaître que les transfuges politiques ne constituent certainement pas le remède approprié pour vaincre le cynisme ambiant.

Les députés Rebello et St-Denis devront vivre avec les conséquences de leur choix mais ils ont une abrupte pente à remonter afin de rebâtir leur crédibilité et convaincre les électeurs de leur sincérité et du bien-fondé de leur choix.