Et si le 25 décembre devenait la fête de la justice sociale, une occasion pour les croyants et les athées se rassembler?

On dit que Noël célèbre la naissance du Sauveur mais je pense qu'il faudrait d'abord sauver Noël de l'insignifiance. Je ne veux pas dire qu'il faudrait donner moins de cadeaux et se recentrer sur une quelconque lecture spirituelle de la naissance du petit Jésus. Cette naissance, fut-elle celle du sauveur du genre humain, n'est pas le vrai sens de Noël. Le contexte de la naissance, plutôt que la naissance elle-même, ouvre au sens premier de ce qu'on appelons Noël. Et ce sens est subversif au sens politique du terme.

Avant d'être une fête, Noël est un texte. Précisément: s'appuie sur un texte. Et ce texte fait partie des quelques événements littéraires qui ont eu une portée politique radicale dans l'histoire. Je veux dire: une fois dégagée des lieux communs, de leurs atours infantiles et de leur théologie à trente sous, les récits de la Nativité sont un coup de tonnerre dans la littérature de l'antiquité.

Tâchons de les comprendre en portant une attention particulière aux éléments à première vue anecdotiques de la naissance de Jésus. Jésus est un bâtard (sans ascendance paternelle socialement reconnue), né dans une grange parmi les bêtes.  Ses premiers visiteurs sont des pauvres (bergers) et des étrangers (mages). Quel contraste entre  l'humilité de cette naissance et le destin exceptionnel du personnage (son destin littéraire, à tout le moins)!  Et tout ça se retrouve sous nos arbres de Noël, comme si de rien n'était. Une vraie bombe politique dans nos salons.

Car pour l'époque, ce contexte était choquant et, de ce fait, a dû choquer plus d'un lecteur. Pensez-y: un messie pauvre? Bâtard? Ignoré par les grands de son peuple? Allons donc, qu'espérer d'un tout nu pareil? Ce n'est pas comme ça que l'on construit des héros. Pas étonnant que les premiers chrétiens aient été d'extraction modeste et non des représentants de l'establishment: il n'y avait que des exclus et des marginaux pour saisir le pied de nez que les récits de la Nativité adressaient aux pouvoirs économiques, politiques et religieux du temps. C'est à eux, esclaves, pauvres, malades, que s'adressaient les textes de Luc et Matthieu. Pas aux gens comme il faut, qui ont réussi leur vie, qui payent leurs impôts et rendent à César ce qui lui appartient.

Croyants ou athées, il faut reconnaître que ces textes tirés des évangiles brassent la cage comme peu de textes avant ou après eux.  Pour fin de comparaison, il faudrait que j'écrive que le premier prix Nobel québécois francophone sera l'enfant d'une fille-mère monoparentale sous-scolarisée. Mais voyons, ces enfants-là ne vont pas dans les écoles privées, rarement à l'université. Un prix Nobel? Quelle blague, s'exclament les classes moyennes et aisées, le premier prix Nobel devrait au moins venir de Brébeuf. Sinon, à quoi sert le système?

Ces textes nous disent que tout est possible, que rien n'est joué d'avance. Credo étrangement moderne, écrit il y a 2000 ans. Il y a plus de modernité, dans ces textes que dans les programmes de ces partis politiques qui s'accommodent de l'écart grandissant entre les pauvres et les riches au Canada. Il y en a plus que dans le projet de loi C-10 des conservateurs qui fait le pari que l'emprisonnement est préférable à la réhabilitation.

Et si Noël devenait la fête de la Justice sociale autour de laquelle croyants et athées pourraient se rassembler?