Beaucoup de choses ont été dites depuis le suicide d'une adolescente, survenu il y a deux semaines en Gaspésie, des suites d'actes d'intimidation dont elle était victime à son école. L'intimidation consiste à user de diverses formes d'abus de pouvoir pour abaisser, ridiculiser, harceler, terroriser, humilier, dénigrer, médire ou mépriser autrui. Ces actions verbales ou psychologiques visent à faire sentir à la victime qu'elle doit se considérer comme un être inférieur à cause de sa différence.
En ce sens, l'intimidation déborde les relations entre élèves. Elle peut être dirigée contre un élève mais également vers un directeur, un enseignant, un surveillant, une secrétaire ou un concierge. Cette liste de victimes potentielles peut aussi se transformer en agresseur envers d'autres adultes et jeunes d'une école.
Les relations sociales au sein d'une école peuvent être des plus saines, mais mes observations auprès d'une centaine d'écoles tant publiques que privées du Québec m'indiquent que le meilleur peut côtoyer le pire. Un climat scolaire malsain peut laisser place à des formes pernicieuses de violence, tant de la part d'adultes que d'élèves, si rien n'est mis en place pour agir sur les causes du problème.
Contrairement à ce qui a été avancé par des responsables scolaires et des élus politiques pour rassurer la population, la majorité des écoles québécoises ne savent pas quoi faire avec l'intimidation et n'ont pas de politiques et de plans d'action pour combattre ce phénomène. L'école doit répondre à trois missions : instruire, éduquer et socialiser. La dernière mission est généralement défaillante dans plusieurs écoles. Il demeure essentiel de favoriser la socialisation parce que l'école constitue un milieu de vie où il faut apprendre à vivre ensemble dans un contexte empreint de respect mutuel.
Il ne suffit pas de discuter sur des valeurs comme le respect et la paix, encore faut-il les mettre en pratique dans la vie quotidienne. Comment respecter les différences? Comment apprendre à prévenir et résoudre pacifiquement un conflit lorsqu'il survient à l'école? Ces apprentissages sont autant indispensables aux élèves qu'aux adultes qui doivent les accompagner dans cette voie.
Le respect est souvent exigé à sens unique à l'école dans la mesure où les élèves se doivent de respecter les adultes, mais sans que cette obligation soit toujours réciproque. Le principe de tolérance zéro est souvent rempli de contradictions dans son application. Il est surtout appliqué vis-à-vis toutes inconduites d'un élève à l'égard d'un adulte mais le contraire n'est pas automatiquement vrai.
Les inconduites les plus visibles entre élèves, par exemple les bagarres, sont normalement sanctionnées ce qui demeure plus rare, en ce qui concerne l'intimidation. Un milieu empreint d'incohérences est davantage propice à l'éclosion de conduites violentes dont l'intimidation est une des manifestations.
Pour influencer positivement les jeunes, ces derniers nécessitent d'être exposés à des modèles d'adultes et de pairs cohérents entre leurs propos et leurs gestes. L'intimidation se produit dans plusieurs autres milieux que l'école: la famille, le travail, les sports, les médias, les assemblées d'élus politiques et le milieu des affaires et de la finance, pour n'en citer que quelques-uns.
Ces milieux qui entourent les jeunes ne présentent pas toujours des modèles exemplaires de conduites pacifiques. Il faut se demander parfois, sans nier que la violence physique existe toujours, si la désapprobation sociale à l'égard de cette dernière n'a pas fait dévier plusieurs citoyens vers la violence verbale et psychologique qui sont davantage tolérées socialement pour exprimer un pouvoir de façon abusive.
La violence verbale et psychologique dont se nourrit l'intimidation causent également des séquelles importantes à ceux et celles qui en sont victimes sur une base régulière: perte d'estime de soi, sentiment d'insécurité, sentiment d'infériorité, angoisse, dépression, tristesse, insomnie, détresse, isolement, effondrement psychique, désespoir, etc.
Le dialogue, la conscientisation et la mobilisation s'avèrent des moyens nécessaires pour lutter contre un problème collectif. Ces pistes d'action constituent un point de départ pour mettre en place des mesures préventives et curatives qui feront du sens pour l'ensemble d'une communauté.
Le milieu scolaire ne pourra résoudre seul un problème social comme l'intimidation. Différentes personnes devront être interpellées pour travailler ensemble à analyser les causes du problème, à concevoir et à actualiser un plan d'action réaliste.
La solidarité développée dans une communauté locale représente un facteur déterminant pour sortir d'un cercle vicieux comme la violence sinon les réponses envisagées risquent de demeurer partielles et les résultats sans effet à long terme.
Les principaux acteurs à interpeller pour travailler ensemble seraient principalement des représentants d'élèves, de parents, du personnel scolaire, de la direction d'école, d'animateurs de maisons de jeunes, d'intervenants de maisons de la famille ou des parents, de comités de citoyens, de responsables d'associations sportives, de policiers, d'intervenants sociaux, d'organisateurs communautaires et d'élus politiques.
Chacun des partenaires associés à cette démarche doivent travailler avec une volonté d'ouverture et d'acceptation de la part de responsabilité qui lui revient. Une participation à ce genre d'initiative citoyenne aboutit malheureusement trop souvent à un échec à cause d'enjeux politiques. Certains représentants qui participent à ces processus de mobilisation cherchent avant tout à préserver le statu quo pour empêcher de poser un regard critique sur les diverses causes du problème. Ce type de blocage représente également une forme de violence.
L'intimidation est un fléau social qui déborde les murs de l'école et les relations entre élèves. Bien sûr, il faut établir des priorités pour agir que ce soit à l'école ou ailleurs. Il faudra cependant se remémorer que les diverses manifestations d'intimidation restent subtiles mais elles produisent des effets dévastateurs autant chez les victimes et leurs proches que dans le milieu touché.
Y a-t-il une réelle volonté de nos élus de soutenir des actions communautaires pour prévenir ces situations inacceptables? J'en doute parfois malgré ma conviction et mon implication depuis une trentaine d'années à combattre diverses formes de violence dans cette société comme l'exclusion, la discrimination et la stigmatisation. Nous sommes dans une société qui agit habituellement quand les pots sont cassés.
Combien de suicides liés à l'intimidation faudra-t-il comptabiliser pour passer à l'action? Nous avons une responsabilité citoyenne pour enrayer ce fléau. Comme le déclarait Confucius: «Ne fais pas à autrui, ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse.»