Le mouvement Occupons Montréal a mis en lumière l'immense déficit de participation, de pouvoir et d'avoir.

À la suite de l'expulsion d'Occupons Montréal du square Victoria, il est intéressant de s'arrêter sur les apports de ce mouvement en ce qui a trait à la réflexion sur l'état actuel de la démocratie.

Au-delà du regard complaisant, quand ce n'est pas carrément méprisant, dont il a fait l'objet de la part de nombreux commentateurs et acteurs de la scène politique traditionnelle, le mouvement Occupy nous offre une occasion unique de réfléchir en profondeur sur le sens même du politique dans nos sociétés.

Premier élément notable: en occupant un lieu public dans la ville abandonnée aux diktats des institutions de la mondialisation économique capitaliste, le campement a constitué une manière de se réapproprier la cité, en redonnant un sens et une forme à l'idée d'agora, et plus largement d'espace public politique.

Le message transmis: votre modèle de développement occupe ce monde, mais les marchés ne décideront pas de tout pour les 99% de la population qui ne possèdent guère de pouvoir économique réel sur cette planète. Nous sommes ici comme citoyens (peuple), et non plus en tant que clients, ressources ou capital humain.

Le second aspect marquant: l'installation dans la durée, avec tout ce que cela comprend d'évolution et de transformation au fil des semaines. C'est un mouvement ouvert dans le temps, sans terminaison annoncée. Le fait de devoir vivre ensemble a obligé les participants à s'ajuster, mais aussi à apprendre à discuter et à délibérer dans le respect de l'autre.

La durée permet aussi de penser ensemble, de s'éduquer, de réfléchir à son histoire collective, par le biais de conférences, de projections publiques, qui éclairent le campement et le transforment. Troisième aspect: on est au coeur même d'une expérience de démocratie directe, plus participative et délibérative. En s'appropriant cet espace dans le long terme, on a cherché à y construire ce que l'on veut vivre ensemble. Et comme dans tout espace qui devient véritablement public et citoyen, donc non publicitaire, la création passe par de multiples avenues.

Bien que la prise de parole ne puisse donc se réduire à la prise de décisions, la manière de réaliser les assemblées générales est à cet égard particulièrement éclairante. On pense par exemple à l'amplification sonore des interventions, grâce à la reformulation vocale par les personnes présentes autour d'un intervenant, facilitant ainsi l'audition, la compréhension et l'attention sur les propos de chacun.

En observant Occupons Montréal, on note l'aspiration à ce que le plus grand nombre soit inclus dans la démarche. Bien sûr, il s'agit d'une voie exigeante et semée d'embûches. Le choc avec la réalité urbaine de l'itinérance et la difficile cohabitation avec les plus exclus de tous révèlent qu'il n'est guère facile de reconstruire une société plus juste au quotidien. En ce sens, un tel mouvement a ses limites, ses fragilités, ses contradictions. Il ne peut à lui seul remettre en question un modèle économique de plus en plus éloigné de l'idée même de démocratie. Mais il a le mérite d'être unique de par son ampleur internationale. Et porteur d'espoir en regard des valeurs qu'il promeut et de la manière d'exercer le politique en dehors de l'hégémonie étatique.

Ici, le politique retrouve son sens premier: apprendre ensemble à se responsabiliser et à débattre des décisions qui concernent le devenir de la cité. Cet exercice du politique, car c'est de cela qu'il s'agit, génère une puissance, une fulgurance même, parce qu'il permet la rencontre, le débat, et qu'il met aussi en lumière l'existence d'un conflit fondamental avec les institutions en place.

Ici, la reconnaissance d'un conflit est une voie incontournable: impossible de penser la société de demain de manière consensuelle. Il y a un immense déficit de participation, de pouvoir et d'avoir. Tant que l'on ne rectifie pas ce déséquilibre structurel, toute prétention au changement est impossible. C'est l'un des grands enseignements des dernières semaines.