Lorsque la polémique entourant l'utilisation de la chanson Le Pyromane du groupe Karkwa dans une publicité de Coca-Cola est sortie, je me suis dit que c'était normal d'essuyer de telles critiques car la publicité n'a pas la cote. D'ailleurs, dans plusieurs sondages, les publicitaires se classent après les politiciens et les vendeurs d'automobiles quant à leur crédibilité. Dans notre industrie, on prend plutôt la chose avec philosophie et bien souvent on en rit.

Il y a un élément qui m'agace férocement dans ce débat. Il s'agit de l'utilisation du mot «éthique» lorsqu'il est question pour un artiste de vendre ses droits pour une publicité ou de s'associer à une marque. Comme si la publicité n'était pas «éthique». Que c'était malsain. J'aimerais remettre certaines pendules à l'heure.

Premièrement, l'industrie publicitaire est un moteur économique, et même culturel, important pour le Québec. Selon l'Association des agences de publicité du Québec (AAPQ), l'industrie de la publicité au Québec génère des retombées annuelles directes de 5,1 milliards de dollars et emploie plus de 60 000 personnes. Derrière chaque publicité, en plus des employés des agences, il y a des réalisateurs, des comédiens membres de l'UDA, des ingénieurs de son, des caméramans, des stylistes, des coiffeurs, des maquilleurs, des techniciens, etc. De plus, sans les revenus générés par leur présence dans les publicités, plusieurs artistes ne pourraient tout simplement pas exercer leur métier à temps plein, privant ainsi tout le Québec de leur apport à notre identité.

Deuxièmement, et au risque d'en faire sursauter quelques-uns, la publicité est une forme d'expression de notre art, de notre culture et constitue un reflet assez juste de notre société. Lorsque bien faite, elle nous fait rire, réagir et vient même chercher nos émotions.

Parmi les conditions de réussite d'une bonne publicité, l'utilisation de la musique est primordiale. Une exécution visuelle percutante jumelée à une excellente trame musicale permet de créer une publicité convaincante certes, mais aussi agréable à regarder ou à entendre pour les téléspectateurs. Le mélange des arts y est ici bénéfique. Bien évidemment, plus la publicité est appréciée, plus elle permettra à l'annonceur de vendre son produit au détriment de ses concurrents. La musique y contribue.

Par contre, la réciproque est également vraie. L'utilisation d'une musique dans une publicité peut lui donner une vitrine exceptionnelle. Par exemple, des groupes tel Radio Radio ont bénéficié d'une immense visibilité lorsque Telus a utilisé l'excellente pièce Jacuzzi dans une de ses publicités. Ce groupe que je ne connaissais pas vraiment fait maintenant partie de ma bibliothèque iTunes.

À titre d'exemple personnel, lorsque notre agence a créé la campagne pour le lancement de la Budweiser 4, nous avons utilisé la chanson Alive Again de DJ Champion. En plus d'avoir rehaussé notre concept, vous auriez dû voir le nombre de consommateurs qui nous ont écrit pour savoir quelle était la chanson choisie. Sans connaître les effets nets de notre campagne sur les ventes de CD, je suis convaincu que cela a aidé l'artiste.

Grâce à internet, l'offre musicale pour les consommateurs a pris des proportions gigantesques. En un seul clic, le consommateur a accès à tout ce qui se fait musicalement dans le monde. Par contre, son budget discrétionnaire pour en acheter n'a pas augmenté, sans parler des téléchargements illégaux. Même si les possibilités sont maintenant sans limites, cette situation fait en sorte que les artistes doivent eux aussi se battre pour se faire connaître et vivre de leur musique. Vous n'avez qu'à regarder les immenses campagnes de marketing que des groupes comme U2 et Coldplay ont déployées pour la sortie de leurs CD respectifs pour comprendre que même les groupes les plus populaires au monde font face à une rude compétition. Vous comprendrez que la situation est encore plus préoccupante au Québec. Ainsi, sans prétendre que l'association à la publicité est le remède à cette situation - c'est mon côté de publicitaire qui ressort -, si elle peut contribuer à faire connaître nos artistes, tout le monde sera gagnant.

Un autre élément qui m'agace profondément est de dire que l'artiste ou le groupe le fait seulement pour l'argent. Et alors! L'artiste a le droit de gagner sa vie. Je suis toujours estomaqué de constater comment le rapport entre l'argent et les Québécois est toujours aussi malsain. C'est aussi très méprisant de penser que l'artiste ne le fait que pour des considérations pécuniaires. Je ne connais pas un artiste qui accepterait de vendre une de ses chansons pour un concept ou un produit diamétralement opposé à ses valeurs. Par exemple, je ne crois pas que Loco Locass ferait la campagne du Parti conservateur pour les prochaines élections fédérales, peu importe la somme d'argent qui serait proposée...

Ce que je déplore aussi est que cette pratique se fait partout ailleurs et qu'on trouve ça cool. Au Québec par contre, on dit que les artistes vendent leur âme. Des artistes comme Madonna ou les Rolling Stones qui ont vendu les droits d'utilisation de leurs chansons pour Microsoft ne l'ont sûrement pas fait que pour l'argent. Je ne crois pas que Mick Jagger était devant sa boîte aux lettres chaque matin pour attendre son chèque en se demandant s'il allait pouvoir manger ce matin-là ! Des artistes millionnaires comme Madonna, The Black Eyed Peas, Lenny Kravitz, Feist et autres font des publicités et les Québécois crient au génie et les diffusent sur leur babillard Facebook! Karkwa, Malajube et Coeur de pirate font la même chose et essuient une salve de critiques de bien-pensants et intégristes d'une supposée éthique musicale.

Les agences québécoises, tout comme les groupes et autres musiciens, font elles aussi face à une rude compétition. Mes compétiteurs ne sont plus en face de notre bureau sur le boulevard Saint-Laurent, mais à Toronto, Londres et New York. La seule façon de nous démarquer est d'être meilleurs et de nous serrer les coudes. Au lieu de nous nuire entre nous comme les Québécois savent si souvent le faire, unissons nos forces pour conquérir la planète et faire ainsi rayonner la culture, le talent et la créativité du Québec.