Certains films sont comme des panneaux d'arrêt ou des autobus scolaires: ils vous obligent à vous arrêter. Ainsi en est-il de M. Lazhar de Philippe Falardeau, l'adaptation cinématographique de la pièce de théâtre Bachir Lazhar, d'Evelyne de la Chenelière.

Bachir vient annoncer, comme l'indique son nom, la bonne nouvelle. Mais laquelle? Et qu'est-ce qui dans le film - la pièce- nous touche si profondément?

Tout d'abord, le personnage même de M. Lazhar qui rassemble en lui bien des paradoxes. Il est le lutteur qui se bat pour la liberté et la vérité de l'homme universel, mais il le fait tout en douceur et intelligemment, en sachant se taire quand il le faut, sans hypocrisie aucune, cédant le pas à un humour subtil dans les situations absurdes où l'homme, comme chez Kafka, est soumis à une bureaucratie qui l'écrase et contre laquelle il ne peut rien.

Mais rien de sinistre, par contre, car M. Lazhar est heureux. Ou du moins, insiste-t-il à l'être. Il sait savourer les petits bonheurs de la vie dans un monde «civilisé». Il admire la verdure de Montréal malgré la neige, la maturité des élèves restés enfants, les méthodes d'enseignement de la réforme qu'il n'adopte pourtant pas à l'aveuglette. Il apprécie l'épaulement des collègues tout en demeurant lui-même. Il s'intègre en gardant son intimité. Il possède la langue, source de communication mais aussi d'embarras tantôt pour lui tantôt pour les autres. C'est un excellent pédagogue, sans brevet pour enseigner! Il est drôle comme Fellag, et triste comme un réfugié politique ayant perdu femme et enfants dans le feu du terrorisme. Un optimiste malgré lui, un défenseur de la vie cherchant à démystifier la mort. Il subit l'injustice comme un mauvais sort venant d'on ne sait où. Il s'émerveille tantôt comme un enfant, tantôt comme un Persan à Paris devant une société accueillante, qui sait lui accorder le droit d'asile, mais qui lui ferme les portes au nez.

Ce personnage nous touche donc par son humanité et sa tendresse dans sa confrontation avec un monde cruel. Le monde d'aujourd'hui, et de toujours. De partout. Celui qui refuse «L'esprit des lois». Ailleurs, un terrorisme certainement terrorisé à l'idée de liberté. Ici, des parents qui ne veulent voir dans l'enseignant qu'une machine à cracher de la matière, qui refusent qu'on «éduque» leur enfant dans un ministère de l'«Éducation». Une peur qui va jusqu'à prohiber tout contact physique si innocent soit-il. On ne veut pas les sentiments, on veut des faits. Comme si on avait peur de dépasser une limite quelconque. La liberté enchaînée.

Certes, il y a l'expérience et le passé qui nous donnent raison parfois. Mais de là à tout généraliser! Qui n'aimerait pas être écouté? Nous, qui menons un marathon ininterrompu depuis les bancs de l'école jusqu'à ceux de la retraite! Nous qui, entre temps, nous accrochons à toute sorte d'assurance pour nous rassurer: assurances maladies, régimes de retraites, assurance sur ma vie, sur ma maison, sur mon auto, sur mon chien. Voilà pourquoi M. Lazhar nous dérange comme un petit Prince devant son businessman.

Mais c'est peut-être là, la bonne nouvelle. Se poser des questions. Tout le monde le sait, Rilke le premier: il n'y a pas de réponses. Ce qu'il y a, c'est une tendresse, une «miséricorde» (amour provenant des entrailles). Celle de la mère pilote embrassant son enfant, Alice, avant chaque vol. Celle de cette même Alice revenant embrasser, oui, embrasser M. Lazhar, les larmes aux yeux.

Merci de nous avoir offert cette oeuvre magnifique sans mièvrerie. Un fin galet de plus lancé à la surface de notre quotidien haletant, un panneau qui nous invite à nous arrêter... Pour voir.