Même les auteurs les plus chevronnés pèchent quelquefois par excès, comme l'abus de langage par lequel on vide les mots de leur sens. Voilà ce qui s'est produit dans la récente chronique de Pierre Foglia portant sur le livre De colère et d'espoir, le dernier opus de Françoise David du parti Québec Solidaire.

Pour nous convaincre de lire ce qu'il qualifie un peu vite d'incontournable, le chroniqueur en appelle à notre fibre d'humaniste en nous rappelant tous les «droits à» qu'il convient d'opposer au capitalisme qui, laissé à lui-même, rendrait notre société invivable. Sont ainsi assimilés à des «droits fondamentaux» le droit à l'éducation, au logement, aux soins de santé. Il n'est pas le seul, remarquez. Quantité d'intellectuels de la gauche n'ont de cesse de promouvoir des «droits à» de toutes sortes: à la nourriture, à l'eau potable, au travail, aux loisirs, etc. Mais alors, pourquoi s'arrêter en si bon chemin? Pourquoi pas un droit inaliénable à deux semaines dans le Sud, ou un droit universel à l'écran plasma 55 pouces? Avant d'en arriver à un tel dérapage, ce qui pourrait arriver plus vite qu'on pense, voyons la signification exacte de la notion de droits fondamentaux telle qu'on la retrouve dans les constitutions des pays démocratiques. On ne parle pas ici de «droits à» mais plutôt de «droits de»: droit de poursuivre le bonheur, de s'exprimer librement, de s'associer pour défendre ses intérêts, d'entreprendre et commercer sans entraves. Il s'agit donc pour l'État de garantir une liberté d'action aux citoyens, en utilisant parcimonieusement son pouvoir d'intervention et de coercition, et non pas de fournir des biens et services que tout individu minimalement responsable devrait se procurer par lui-même. Mais les gens de la gauche, ces incorrigibles «interveneux», pervertissent la notion de droits fondamentaux au point de lui accoler un sens contraire à sa véritable signification. Car ces fameux «droits à» supposent beaucoup plus de contraintes que de liberté. Il ne s'agit plus d'un État garantissant la liberté d'agir, mais plutôt d'un État monopolistique et pourvoyeur recourant à la confiscation. Selon la vulgate de la gauche, il n'y a que l'État-providence qui soit digne de fournir la nourriture, l'eau, le logement, l'éducation, le travail, et ainsi de suite. Le bonheur ne pourrait donc être offert au bon peuple que par une approche «collectiviste». En appeler à la responsabilité individuelle et à l'économie de marché? Quelle horreur! On comprendrait une telle aversion pour le capitalisme si l'on n'avait jamais rien tenté d'autre. Pourtant, en 1917, des hurluberlus à l'Est ont imposé l'illusion du Grand Soir à tout un peuple. Victime de ses contradictions internes, ce système a fini par imploser en 1989. On comprendrait également cette haine du libre marché si les moins fortunés de notre société ne disposaient d'aucun secours. Mais les Québécois paient les impôts les plus élevés en Amérique du Nord afin de financer un généreux système de redistribution des richesses. Et il faudrait répondre favorablement aux appels à l'irresponsabilité de ces tenants du «droit à» ? On me permettra de rappeler à ces rhéteurs cette célèbre citation du libre-penseur français Benjamin Constant: «Que l'autorité se borne à être juste, nous nous chargerons d'être heureux».