Au Québec, il y a 151 partis politiques municipaux dûment enregistrés auprès du Directeur général des élections (DGEQ) dans 84 villes. La ville de Montréal à elle seule compte 10 partis politiques. Parmi les 1113 municipalités du Québec, plus de 50% des conseils de ville sont élus par acclamation. Alors que le taux moyen de participation aux élections municipales oscille autour de 40% pour les 10 plus grandes villes du Québec, ce taux chute lorsque nous considérons les villes de moyenne ou de plus petite importance.

Aux dernières élections, j'ai été élu conseiller municipal avec un taux de participation de 31%! Le citoyen se désintéresse du palier politique, pourtant le plus accessible et dont l'action est la plus visible dans son quotidien. À qui la faute?

À mi-mandat des élections municipales au Québec, il est opportun de réfléchir au financement des partis politiques en vue des élections de 2013. Ce qui pourrait alimenter la réflexion de la commission dirigée par la juge France Charbonneau et aider à comprendre un peu comment peuvent fonctionner les formations délinquantes dans le milieu municipal.

Mais la vraie question devrait être: les partis politiques sont-ils encore pertinents sur la scène municipale?

Les partis politiques municipaux sont des partis sans partisans. Leur création précède souvent une élection et la plupart ne survivent pas à l'échec électoral. Aucun parti municipal n'a de base idéologique déclarée: fédéraliste ou souverainiste, conservateur ou progressiste, gauche ou droite. La position est souvent de faire valoir la bonne gestion ou l'administration de la ville, ce qui est une excellente chose pour les citoyens.

De plus, ces partis ne semblent répondre qu'à l'intérêt des candidats qui les composent. C'est un peu le principe de la main invisible d'Adam Smith appliquée à la politique municipale. Quel est l'intérêt de leur existence pour les membres, les citoyens et la communauté de façon générale? On peut aussi s'interroger sur leur rôle, à la lumière des scandales qui ont affecté le milieu municipal depuis trois ans, du financement de leurs activités électorales et de l'attribution des contrats une fois que ces partis sont élus majoritairement. Je ne dis pas ici qu'ils sont tous fautifs. Je m'interroge sur ce mécanisme, le parti politique municipal.

Par expérience, je peux affirmer que les bénéfices de la mise sur pied d'un parti politique (il serait plus juste de parler d'équipe électorale) sur la scène locale sont la mise en commun des ressources (juridique, communication, financement, les trois piliers du succès électoral). Pour un candidat qui se présente indépendant face à une équipe organisée, ses chances d'être élu sont pratiquement nulles. Sauf dans le cas de candidat vedette (comme Andrée Boucher à Québec), ce qui est très rare, les médias se désintéressent de ce type de candidature et préfère la visibilité et les réalisations d'une équipe constituée.

D'autre part, les bailleurs de fonds sont plus susceptibles de s'intéresser au chef d'un parti afin de lui fournir ressources financières, juridiques et communication, si les possibilités sont grandes de le voir gagner. Les retours d'ascenseur seraient probablement assurés dans ces conditions. Or, il est difficile pour ces mêmes bailleurs de fonds d'approcher des candidats indépendants et de les convaincre séparément, un à un, de collaborer à ce type de stratagème. L'électorat devrait être plus vigilant devant de tels mécanismes, ainsi que la commission Charbonneau.

De la façon dont certaines dispositions de la loi électorale sont énoncées, il n'est pas étonnant que dans des municipalités du Québec, certaines équipes électorales et candidats aient glissé vers un financement illicite de leurs campagnes électorales. La loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, particulièrement la partie touchant le financement des partis politiques, encourage surtout la formation d'équipes sur le plan local et la mise en commun des ressources et complique littéralement l'existence des candidats indépendants qui bénéficient de peu de moyens à cet égard. Pour les candidats en équipe uniquement motivés par leur élection ou réélection, indépendamment de leur vision de la vie politique ou de leur dévouement au bien public, contourner la loi du financement est chose relativement simple.

Il est plus compliqué pour des candidats à la mairie ou dans les districts qui se présentent comme indépendants de contourner les dispositions de la loi sur le financement. En effet, il est difficile, pour des firmes qui en ont la volonté, d'établir un système organisé entre les candidats indépendants. Une fois élus, ces candidats sont à mieux de défendre les besoins et désirs de leurs concitoyens, car ils ne sont soumis à aucune ligne de parti: ils ne risquent pas de faire mal paraître l'équipe!

Ce n'est plus une surprise si le cynisme a augmenté d'une façon fulgurante durant les dernières années dans la population. Les médias ont pris la place du gouvernement, afin de bien informer l'électorat au sujet des dérapages municipaux, ce gouvernement qui a tant tardé et tergiversé à déclencher une enquête publique, ne sera pas surpris des révélations qui seront faites à la commission Charbonneau. Il est absolument fondamental de dénoncer ce type de pratique.

Il faudra un jour ou l'autre faire tabula rasa de ces moeurs électorales indignes. Il faudra aussi se demander si la présence de partis politiques à ce niveau est toujours pertinente. En attendant les résultats de cette enquête, il faudra que les élus fassent le travail eux-mêmes et dénoncent à haute et intelligible voix ce type de pratique, sans s'exposer à des sanctions et des poursuites. C'est pourquoi la version 1.0 de la commission Charbonneau est irrecevable pour tous.