Les neuf juges de la Cour suprême du Canada devraient-ils tous être bilingues? Idéalement, une seule réponse s'impose: «Oui». Les magistrats entendent et décident des causes dans les deux langues officielles et leur jurisprudence affecte tous les citoyens du Canada.

L'avocat qui plaide régulièrement devant la Cour suprême en français et en anglais sait que, malgré la qualité de l'interprétation simultanée, l'unilinguisme crée un certain désavantage. Le client a déjà choisi son porte-parole dans la personne de son avocat: interposer un interprète crée nécessairement une certaine distorsion entre le plaideur et la cour.

Les plaideurs d'expérience devant la Cour suprême savent que la plaidoirie orale change rarement l'issue d'un litige. Les juges sont tellement bien préparés préalablement à l'audience que le plaideur peut rarement espérer convaincre la cour d'une opinion contraire à celle qu'ils ont formée au cours de leur étude préalable du dossier. Néanmoins, il existe certaines causes où la plaidoirie est déterminante et on ne peut jamais savoir d'avance si son dossier est un de ceux qui pourraient être gagnés (ou perdus) à la suite de sa présentation devant la Cour.

Il serait donc nettement préférable que tous les juges de la Cour suprême soient bilingues. Mais la compétence linguistique n'est pas le seul facteur qui devrait déterminer l'aptitude à siéger à la Cour suprême. Ainsi, tous seraient d'accord pour dire qu'il est important que la Cour comprenne un nombre important de femmes. Elle en compte maintenant quatre. Or, jusqu'à la nomination de la juge Bertha Wilson en 1982, aucune femme n'avait été nommée à la Cour suprême depuis sa création en 1875. La juge Wilson, nommée pour occuper un des trois sièges de la Cour conventionnellement réservés à l'Ontario, ne parlait pas français: aurait-elle dû être disqualifiée, alors qu'aucune autre candidate bilingue n'avait les qualités juridiques comparables aux siennes?

Lorsque la Charte canadienne des droits et libertés est entrée en vigueur en 1982, hormis les trois juges québécois, aucun ne pouvait entendre une cause en français. Moins de 30 ans plus tard, quatre des six juges issus des autres provinces sont bilingues. Et ce, malgré l'absence de toute législation posant quelque condition linguistique que ce soit.

La question qui se pose donc est celle de savoir si l'administration de la justice, au niveau de la Cour suprême, est mieux servie si on exige que tout juriste qui y aspire soit bilingue ou bien si on accepte que cette compétence, aussi importante soit-elle, cède sa place lorsque les autres qualités d'un candidat le justifient.

La composition optimale de la Cour suprême doit tenir compte, hormis le bilinguisme, de nombreux facteurs tels la connaissance du droit civil et de la common law, la représentation régionale et les connaissances pointues dans les nombreux domaines du droit que la Cour doit maîtriser. Il est manifestement impossible de trouver neuf juristes dont chacun aurait toutes ces qualifications. Par conséquent, la Cour suprême idéale devra résulter du cumul des diverses compétences que le premier ministre saura rassembler au sein du tribunal.

Le processus de nomination mis en place par le gouvernement conservateur peut être amélioré. Étant donné le rôle primordial que joue la Cour suprême, on devrait étudier rigoureusement et adopter un nouveau processus qui serait inscrit dans une loi. D'ici là, les Canadiens n'ont d'autre choix que de se fier au sérieux et à la bonne foi des députés à qui le gouvernement avait confié la tâche d'examiner les candidatures rassemblées par le ministre de la Justice afin de soumettre les six meilleures au premier ministre.

Comme aucun des députés membres de ce comité ne s'est objecté formellement à quelque nom que ce soit sur la liste remise au premier ministre, il faut en conclure que tous les partis politiques étaient d'accord pour offrir à M. Harper la possibilité de nommer au moins un juge qui, sans avoir la compétence linguistique tellement souhaitable, combinait d'autres atouts faisant de lui un candidat qualifié pour siéger à la Cour suprême.