En tant qu'enseignants au cégep, nous côtoyons chaque jour les étudiants qui fréquenteront bientôt l'université. Si notre relation avec eux est avant tout pédagogique, elle repose aussi sur l'idée que nous nous préoccupons d'eux et de leur éducation. Nous ne pouvons donc faire autrement que de dénoncer cette seconde hausse de droits de scolarité universitaire (1625$ sur cinq ans) qui débutera en 2012 et qui fera, à terme, passer ceux-ci à 3793$ par année.

Comme l'a si bien écrit la philosophe Hannah Arendt, nous croyons que c'est avec l'éducation «que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d'entreprendre quelque chose de neuf». Or, la hausse des droits de scolarité, parce qu'elle entrave l'accessibilité aux études universitaires et accroît significativement l'endettement étudiant (déjà important), équivaut précisément à abandonner les étudiants de la classe moyenne et des milieux défavorisés.

Au Canada, depuis les années 1990, les hausses de droits de scolarité ont entraîné une diminution de la fréquentation universitaire chez les familles dont le revenu annuel est inférieur à 75 000$ mais n'ont pas eu d'impact chez les familles plus aisées, comme le souligne l'IRIS dans son étude sur la révolution tarifaire au Québec. Quant à l'endettement moyen après un baccalauréat, selon Statistique Canada, il se situe actuellement autour de 15 000$ au Québec et croît en fonction de l'augmentation des droits de scolarité.

En ce sens, la hausse des droits de scolarité pose des obstacles importants sur la route des étudiants, tant à l'entrée qu'à la sortie de l'université. Car le coût des études (droits de scolarité, matériel scolaire, frais divers) et l'endettement qui s'ensuit, jumelé au coût croissant de la vie des dernières années (nourriture, loyer, tarifs d'électricité, prix de l'essence, etc.), ont pour conséquence de maintenir les étudiants et les diplômés dans une situation financière précaire, souvent malgré un bon emploi. Ils commencent leur vie avec un lourd fardeau se répercutant sur leurs projets d'avenir comme fonder une famille ou acheter une maison par exemple. Les parents qui tentent de supporter les études de leurs enfants, alors qu'ils sont déjà lourdement endettés, seront dans une situation encore plus difficile. La hausse des droits de scolarité est une mesure injuste envers les familles n'appartenant pas aux milieux aisés de notre société.

Un argument souvent utilisé en faveur de la hausse fait d'ailleurs abstraction de cette injustice: soit que l'éducation universitaire est un investissement personnel dont on s'enrichira plus tard. Ce qu'on oublie toujours de dire, c'est que pour investir, il faut déjà avoir de l'argent! C'est également une erreur que de réduire l'éducation à un bien strictement personnel, puisque au-delà de la personne qui s'instruit, c'est toute la société qui bénéficie de son éducation. Les jeunes à qui nous enseignons profitent directement de notre formation universitaire, comme nous profitons de celle des médecins, des journalistes, des scientifiques, des avocats, des ingénieurs, etc. L'éducation est donc un bien collectif.

Or, en allant de l'avant avec cette hausse de droits de scolarité, le gouvernement libéral de Jean Charest continue de faire de l'éducation un privilège pour ceux qui ont les moyens de se la payer.

C'est une injustice sociale que nous, comme profs de cégep, ne pouvons passer sous silence.

* Ont aussi signé cette lettre : Charles-Étienne Gill, professeur de français au cégep de Saint-Jérôme ; Fanny Theurillat-Cloutier, professeure de sociologie au cégep Marie-Victorin ; Maxime Ouellet, professeur de science politique au collège Lionel-Groulx ; Julie Dionne, professeure de mathématiques au cégep de Sherbrooke ; Martin Godon, professeur de philosophie au cégep du Vieux Montréal ; Chrystian Ouellet, professeur de philosophie au collège de Valleyfield ; François Rioux, professeur de littérature au collège Montmorency ; Jean-Philippe Rioux, professeur de littérature au collège Ahuntsic ; Sophie Morisset, professeure d'anthropologie au collège Lionel-Groulx ; Jean-Pascal Larin, professeur de science politique au collège Édouard-Montpetit ; Yves De Repentigny, professeur de biologie au cégep du Vieux Montréal ; Jean-Philippe Beaudin, professeur de philosophie au cégep de Saint-Jean-sur-Richelieu ; Joëlle Bolduc, professeure de science politique au cégep de St-Jérôme ; Anne-Marie Claret, professeure de philosophie au cégep du Vieux Montréal ; Laurence Olivier, professeure de littérature au cégep du Vieux Montréal ; Michel Milot, professeur de mathématiques au collège Lionel-Groulx ; Vincent Fortier, professeur de philosophie au collège de Valleyfield ; Yves-André Bergeron, professeur de philosophie au cégep de Saint-Jérôme ; David Groulx, professeur de littérature au collège Ahuntsic ; Julie Roussil, professeure de philosophie au collège de Valleyfield ; Marie-Élaine Mineau, professeure de langue et littérature au collège de Valleyfield ; Julie Blanchette, professeure de littérature au cégep de Saint-Jérôme ; Bernard La Rivière, professeur retraité de l'enseignement de la philosophie au collégial.