Mme Beeman est coordonnatrice, équité en emploi, au Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail. Mme Rose est professeure associée en sciences économiques à l'UQAM et présidente du Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail.

En 1993, lors du sommet sur l'industrie de la construction, les parties patronales et syndicales ont voté unanimement en faveur de l'intégration des femmes dans la construction. En 1995, le conseil d'administration de la Commission de la construction du Québec (CCQ) a mis sur pied un comité de travail qui a produit un rapport fixant un objectif à atteindre de 2% de femmes dans cette industrie au cours des années 2000.

Quinze ans plus tard, en 2010, la proportion de femmes est de 1,2%, la plus faible de toutes les provinces canadiennes. Pour l'ensemble du Canada, cette proportion est de 3,0% alors qu'il est de 5,9% en Alberta.

Pourquoi y a-t-il si peu de femmes dans les métiers de la construction au Québec? Pourquoi une action concertée de la part de la CCQ a-t-elle eu si peu de succès, malgré l'appui - disent-ils - des parties patronales et syndicales? Voilà les questions que le Comité pour la défense des droits des femmes dans la construction et le Conseil d'intervention pour l'accès des femmes au travail (CIAFT) ont soulevées lors de leur témoignage devant la commission parlementaire qui étudie actuellement le projet de loi 33.

Selon l'étude de la CCQ sur les femmes dans la construction, depuis 2000, les femmes représentent entre 2,0% et 3,1% des nouvelles entrées dans la construction, des chiffres peu impressionnants mais néanmoins supérieurs au 0,3% qui était le pourcentage de femmes dans la main-d'oeuvre de la construction en 1997. Les nouvelles entrantes étaient un peu moins souvent compagnons et plus souvent apprenties que les hommes, mais les apprenties avaient aussi souvent un diplôme d'études professionnelles (41% chez les femmes et un peu moins chez les hommes).  Environ 24% des femmes entraient avec le titre d'occupation, comparativement à 23% pour le total de la main d'oeuvre.

On constate également que 59% des apprenties et les femmes ayant le titre d'occupation ont abandonné après cinq ans dans l'industrie comparativement à 36% des hommes ayant les mêmes statuts. Par contre, les femmes ont beaucoup plus de difficultés à accéder au titre de compagnon, alors que le taux d'abandon est moindre pour ce groupe.

Un autre rapport de la CCQ nous permet de comprendre pourquoi les femmes abandonnent. Les femmes citent plus souvent que les hommes des «raisons personnelles» (18% versus 8%) et des mauvaises relations avec les collègues, patron ou syndicat (10% versus 2%). Le fait d'invoquer des «raisons personnelles» est difficile à interpréter. Cela peut cacher des problèmes de harcèlement ou d'isolement ou le de manque de flexibilité quant aux exigences de la conciliation famille-travail, une question qui, en général, préoccupe davantage les femmes que les hommes.

Dans le cadre d'une recherche du CIAFT, plusieurs travailleuses de la construction et de d'autres métiers majoritairement masculins, ont témoigné des difficultés auxquelles elles font face. Tant en cours de la formation qu'une fois en emploi, elles subissent des remarques désobligeantes de la part des collègues masculins, voire du harcèlement psychologique et physique. Le rapport de la CCQ sur les abandons souligne que 52% des femmes qui ont abandonné l'industrie disent avoir vécu des situations de discrimination fréquemment ou quelques fois, comparativement à seulement 6% des hommes. Chez les femmes qui sont restées dans la construction, 36% disent avoir vécu des situations de discrimination.

Le rapport de la CCQ sur les femmes indique également que la rémunération des femmes est systématiquement inférieure à celle des hommes sauf pour les peintres. Par exemple, chez les apprentis charpentier-menuisier en troisième année les femmes gagnent 24 311$ comparativement à 32 218$ pour les hommes, soit un ratio de 75%.  Chez les électriciens, le ratio varie de 85% à 91% selon l'année d'apprentissage. Puisque les salaires horaires sont régis par la convention collective et sont les mêmes pour tout le monde, cette disparité reflète des difficultés pour les femmes à exécuter suffisamment d'heures de travail.

Ce ne sont pas toutes les femmes dans des métiers majoritairement masculins qui connaissent de mauvaises expériences, ni la majorité des collègues masculins qui sont à l'origine de tels problèmes. Néanmoins, dans un contexte où les travailleuses et travailleurs doivent se faire embaucher à répétition au cours d'une année et où les syndicats ont un rôle important dans le placement, les travailleuses ont souvent un rapport ambivalent avec leur syndicat. Si un entrepreneur refuse d'embaucher une travailleuse, elle peut quand même approcher d'autres entrepreneurs. Mais si une travailleuse est bloquée par un syndicat qui détient le monopole sur le placement pour un métier ou une occupation, l'accès à tous les entrepreneurs et à tous les sites est bloqué.

Quand ces problèmes ont été soulevés en commission parlementaire, il a été navrant de voir la rapidité avec laquelle certains syndicats ont banalisé ou pire, ridiculisé, les problèmes auxquels les femmes font face en les réduisant à des cas isolés. Un taux de participation active aussi bas et un taux d'abandon aussi élevé ne peuvent tout simplement pas être réduits à des cas isolés. Il s'agit d'un secteur d'activité économique où la discrimination systémique à l'égard des femmes est criante. Pour une province qui aime tant vanter ses mesures à l'égard de l'égalité des femmes, cette situation est tout simplement inadmissible et sur laquelle il faut agir. Dans une industrie où on appréhende des pénuries de main-d'oeuvre, les femmes font partie de la solution: elles sont compétentes, productives et axées sur la santé et la sécurité.

Le CIAFT et le Comité pour la défense des droits des femmes dans la construction font appel à tous les groupes impliqués dans la construction, les syndicats, les employeurs et le gouvernement, de s'attaquer aux obstacles systémiques à l'intégration des femmes dans la construction, entre autres, en instaurant un mécanisme de placement équitable et non discriminatoire. Notre objectif ne devrait plus être de 2% de femmes mais plutôt d'au moins 10% et cela dans un horizon de moins de 10 ans.