Selon le professeur Justin Massie, il serait souhaitable que le Canada s'investisse davantage, tant aux niveaux militaire et diplomatique qu'en matière de développement dans le processus de transition en Libye. Ce n'est pas une bonne idée. Le Canada devrait limiter son engagement en Libye et ceci pour de multiples raisons.    

Premièrement, l'application de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU autorisant la mission de l'OTAN en Libye, notamment dans son évocation de la responsabilité de protéger, s'est avérée douteuse. La résolution 1973 n'a pas autorisé, stricto sensu, le renversement du régime Kadhafi ni, par extension, la participation des occidentaux à la reconstruction de la Libye. Les ramifications légales de cette mission sont pour le moins litigieuses. Par ailleurs, le Conseil de sécurité a adopté jeudi à l'unanimité la fin du mandat autorisant le recours à la force en Libye, malgré l'insistance du Conseil national de transition libyen.

M. Massie soutient également qu'il relève de la responsabilité des États occidentaux de participer à la consolidation de la paix en Libye. La responsabilité de protéger tire l'interventionnisme humanitaire du côté des obligations. Suivant cette idée, le Canada serait «obligé» d'intervenir lorsqu'un État n'est pas en mesure ou peu disposé à protéger sa population civile contre les génocides, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique ou encore les crimes contre l'humanité. L'apathie de la communauté internationale face au sort des populations en Syrie, au Yémen, au Sud-Soudan, ou encore en Corée du Nord illustre les limites, tant en terme de motivations qu'en termes de capacité des États, à rencontrer une telle exigence. Pour ces raisons, le gouvernement conservateur de Stephen Harper s'est distancié du concept de la responsabilité de protéger depuis 2006 et la directive officieuse à Ottawa est de limiter la reconnaissance de ce principe par le Canada.

Deuxièmement, les intérêts canadiens en Libye sont modestes. Dans ce contexte, la participation modérée du Canada à l'intervention de l'OTAN en Libye (une dizaine d'avions et une frégate regroupant près de 600 militaires) ainsi que la décision du gouvernement Harper de limiter l'aide canadienne à la démilitarisation et la démocratisation de la Lybie à 10 millions de dollars semble être logique.

D'une part, le Canada a des intérêts commerciaux modestes en Libye, notamment au niveau des infrastructures et des produits pétroliers. Il n'aura échappé à personne que lorsque John Baird, le ministre des Affaires étrangères, a visité la Libye en octobre dernier, il était accompagné de représentants de SNC-Lavalin, Suncor et Pure Technologies. D'autre part, par sa participation à la mission de l'OTAN en Libye, le Canada tente également de se positionner en partenaire international crédible auprès de ses alliés, notamment les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne.

Toutefois, le futur à court et moyen terme de la Libye appelle à la prudence de la part du Canada. D'abord, la fiche de route du CNT en matière des droits humains se ternit considérablement au fil des jours. Non seulement les circonstances exactes de la mort du Colonel Kadhafi demeurent nébuleuses, laissant suspecter une exécution sommaire, mais plusieurs rapports de l'ONU et d'Amnesty International signalent que des exécutions de masse ont été perpétrées par le CNT contre les partisans de Kadhafi. Le CNT ne semble pour le moment pas disposé à protéger certaines franges de la population libyenne, en dépit de ce que peuvent penser le Canada et la communauté internationale. Le Canada est impuissant face à cette situation et doit par conséquent limiter son engagement dans un tel contexte. Ensuite, le Canada risque de se faire entraîner au coeur d'une guerre civile comme en Somalie ou au Rwanda dans les années 90.

Enfin, les alliés du Canada semblent de moins en moins favorables à une participation accrue à la consolidation de la paix en Libye. Les États-Unis sont dans un climat pré-électoral et économique où une présence militaire importante dans un autre pays musulman n'est pas souhaitable et la Grande-Bretagne veut éviter un déploiement militaire qu'elle ne peut se permettre. Quant à la France, elle ne semble pas réaliser la gravité de sa situation économique. De plus, plusieurs membres de l'OTAN, dont l'Allemagne et les Pays-Bas, n'ont pas participé à la mission en Libye et ne changeront pas d'avis. En s'enfonçant davantage en Libye, le Canada pourrait se retrouver dans un environnement explosif avec une capacité militaire et financière modeste, sans partenaire de confiance.

Le Canada doit rester prudent en ce qui concerne l'étendue de ses relations avec la Libye. Il faudra évaluer les événements au cas par cas, identifier les dossiers internationaux qui ont une incidence directe sur les intérêts nationaux canadiens et agir en fonction de ceux-ci. Il est vrai que le Canada a réussi à mettre sur pied un appareil militaire qui lui permet d'agir sur la scène internationale. L'idée n'est pas d'enfermer le Canada dans un repli autistique, mais ce n'est pas parce que nous avons enfin un marteau qu'il faut nécessairement taper sur tous les clous.