Même sous la contrainte, seul le témoignage livré devant la commission n'aurait pu servir dans un procès criminel.

Dans l'inéluctable exercice que le gouvernement devait accomplir afin de mettre sur pied une commission d'enquête sur le milieu de la construction, il devait jongler avec trois balles, au minimum. L'annonce d'hier semble démontrer que cette jonglerie a mené le gouvernement à choisir une formule de commission mitigée.

Une de ces balles portait l'étiquette du droit des citoyens à l'information et de la liberté de la presse. Une commission à huis clos, ne serait-ce que partiellement, sur un sujet comme l'existence de possibles ententes secrètes, paraît d'emblée être une option discutable. Dans un jugement rendu hier également, la Cour suprême vient encore de placer l'importance de la diffusion de l'information au-dessus de la protection de la vie privée des individus.

Seconde balle: la question de l'octroi ou non aux commissaires chargés de l'enquête d'un pouvoir de contraindre les témoins à comparaître. Jacques Duchesneau l'a bien expliqué lors de son passage à Tout le monde en parle: n'eût été l'anonymat qu'il pouvait garantir dans le cadre de son enquête, il n'aurait pas obtenu toutes les informations qui lui ont permis de peindre un portrait général de la situation. Il semblerait donc logique de penser que si on refuse aux juges-enquêteurs le pouvoir de contraindre les potentiels délateurs, la liste des témoins rétrécira comme une peau de chagrin. Qui se portera volontaire pour dénoncer un crime dont il a été témoin parce qu'y ayant participé de près ou de loin, sachant qu'il ne bénéficiera d'aucune immunité?

Mais la balle la plus chaude, selon l'entourage du premier ministre, venait de la nécessité de protéger les enquêtes policières en cours et de s'assurer que les criminels ne restent pas impunis. L'immunité conférée par la Charte canadienne des droits et libertés à une personne contrainte de témoigner est apparemment la justification principale pour priver la nouvelle commission du pouvoir de contrainte.

Il faut pourtant comprendre que ce que prévoit la charte n'est absolument pas une protection à l'encontre de toute accusation. La vraie portée de cette immunité est d'empêcher l'accusateur d'utiliser le témoignage donné sous la contrainte par un individu lors d'une telle enquête dans un éventuel procès de cet individu au criminel, au pénal ou en matière disciplinaire. Les enquêteurs de la police pourront toujours obtenir des déclarations de délateurs contre cet individu, peut-être intercepter des conversations téléphoniques ou trouver quelque preuve matérielle, et décider de porter des accusations contre lui. Seulement, la Couronne ne pourrait pas utiliser contre lui ses déclarations devant la commission. Point.

Les Québécois risquent de se demander si la fin justifiait les moyens alors que le prix à payer pour éviter l'effet de cette immunité pourrait être une enquête publique diluée.