L'élection fédérale du 2 mai dernier au Québec a clairement laissé entrevoir un message de la population à l'endroit de la classe politique. Les Québécois, fatigués par les luttes entre les partis traditionnels, ont préféré le changement, provoquant du même souffle un réalignement des forces politiques sur la scène fédérale.

Depuis, la vague orange n'a cessé d'alimenter le débat public et les acteurs politiques. Pour certains, les électeurs sont maintenant de plus en plus irrationnels et leurs choix politiques ne sont guidés que par l'esprit du moment.

Dans cette perspective, il ne suffit que d'incarner le changement pour espérer faire des gains électoraux. Les idées et les programmes des mouvements politiques, qui étaient naguère la pierre angulaire de la vie politique, seraient aujourd'hui relégués aux oubliettes, rendant le comportement électoral désarticulé et difficilement prévisible. Bref, l'électeur ressemblerait maintenant à un «électron libre» qui vit en dehors des forces de l'environnement politique.

Au Québec, celui qui incarne actuellement le changement et qui s'inscrit dans cette logique, François Legault, semble être favorisé par cette conjoncture politique. Les partis traditionnels que sont le PLQ et le PQ, usés par le pouvoir ou aux prises avec des luttes fratricides, alimentent le cynisme, voire le mépris. Voguant sur la faiblesse de ses adversaires, la Coalition pour l'avenir du Québec est actuellement en tête des sondages d'opinion.

Toutefois, comme le démontrent les élections provinciales en Ontario, il semble que le citoyen n'est peut-être pas aussi irrationnel qu'on pourrait le croire, laissant présager que rien n'est encore joué dans le paysage politique québécois.

En Ontario, le désabusement et le cynisme étaient présents lors du déclenchement de la campagne électorale. La faiblesse du taux de participation, qui a atteint un creux historique de 49,2%, indique clairement que la population n'est pas réconciliée avec la classe politique et que le malaise ressenti au Québec dépasse largement nos frontières.

Cependant, le sentiment de désaffection n'a pas été suffisant pour chasser les libéraux en Ontario. Malgré un lourd bilan de huit années au pouvoir et une des pires crises économiques des dernières décennies, le gouvernement de Dalton McGuinty est passé à un seul député de remporter un troisième mandat majoritaire.

Pourtant, il y a un mois à peine, tout laissait présager une victoire facile des conservateurs. Les citoyens ressentaient, comme au Québec, un sentiment de ras-le-bol envers les libéraux et les sujets controversés ne manquaient pas aux partis d'opposition (l'harmonisation de la taxe de vente, la hausse spectaculaire des tarifs d'électricité). Le chef conservateur Tim Hudak jouissait d'une forte avance de près de 10 points dans les sondages et il incarnait, à l'instar de Jack Layton au Québec, le changement tant espéré par les électeurs.

Comment peut-on expliquer ce revirement spectaculaire? D'abord, le chef conservateur a connu une campagne électorale difficile, glissant à plusieurs reprises sur des sujets controversés. Ensuite, les Ontariens avaient, à l'évidence, fraîchement en mémoire le bilan des années Harris et sa «révolution du bon sens». Autrement dit, les électeurs ont préféré en bout de piste s'inscrire dans la continuité plutôt que le changement.

Pour l'équipe de François Legault, les élections ontariennes devraient servir de message. Certes, les électeurs sont fatigués et recherchent de nouvelles options politiques, mais ils ne sont pas prêts pour autant à faire confiance aveuglément à un nouveau venu qui incarne temporairement le changement.

Or, depuis qu'il a fondé son mouvement de réflexion, François Legault n'a cessé de se camper dans un rôle de populiste opportuniste. Les déclarations controversées s'accumulent à un rythme inquiétant, réduisant ainsi la crédibilité qu'il s'était donnée jusqu'à maintenant. On peut penser ici aux commissions scolaires jugées trop lourdes, au gaspillage à Hydro-Québec, aux professeurs à qui il faut enlever la sécurité d'emploi, au système de santé qui n'est pas assez performant et au réseau collégial qui est un bel endroit pour «apprendre à fumer de la drogue et à décrocher»... Tout cela, sans avoir matérialisé ses réflexions à l'intérieur d'un programme politique. Bref, François Legault réduit peu à peu la marge de manoeuvre nécessaire pour réussir en politique.

La récente élection provinciale en Ontario permet donc de poser la question: François Legault, ce réformateur qui prétend vouloir faire de la politique autrement, connaîtra-t-il le même destin que Tim Hudak?