Après des débuts modestes, le mouvement de contestation «Occupy Wall Street» (OWS) gagne en force. Des rassemblements similaires ont eu lieu dans d'autres villes américaines. Ils pourraient aussi s'amorcer dans des villes canadiennes. Si on nous appelle à venir occuper le Square Victoria, pourquoi devrions-nous descendre dans la rue?

Certains diront que la cause est juste et comme toutes les causes justes, elle devrait être encouragée. Oui, ça aussi, mais un mouvement d'encouragement à OWS au Québec manquera de crédibilité si on n'invoque pas des raisons plus précises.

D'abord, quelles sont les revendications d'OWS? Comme dans tous les mouvements de contestation populaire, ils sont diffus, multiples et (selon qu'on se trouve dans la rue ou dans une tour à bureau) utopiques. Tout y passe, de la dénonciation de la dégradation environnementale aux demandes d'une plus grande reconnaissance des droits des homosexuels, des syndicats, etc. Les injustices auxquelles nous faisons face sont systémiques, scanderont certains des manifestants, les solutions doivent l'être aussi.

Toutefois, ce mouvement s'est aussi constitué autour de revendications bien ciblées.

1) Réduire la corruption de la politique à Washington par Wall Street. En lançant le premier appel à l'occupation, l'organisation activiste Adbusters demandait à l'administration Obama de lancer une commission présidentielle sur l'influence de l'argent sur les représentants politiques.

2) Demander aux financiers de Wall Street de faire leur part. Ils s'en sont mis plein les poches en échangeant des titres hypothécaires toxiques. Ils se sont plantés et les contribuables ont payé seuls la facture.

3) Réduire les inégalités de richesse en régulant davantage les marchés économiques. La dérégulation des dernières années (justifiée notamment au nom de l'augmentation de la richesse des moins nantis) a contribué à creuser cet écart, à l'enrichissement de certains financiers de Wall Street, à la crise financière de 2008 et à la crise économique.

Quelle est la résonnance de ces enjeux au Québec et au Canada? L'influence du système bancaire canadien à Ottawa est bien différente. Nos institutions financières se portent plutôt bien en comparaison. Elles ont peu profité de la bulle hypothécaire. Nos gouvernements n'ont donc pas eu à les secourir par des mesures de renflouement. Et, finalement, la dérégulation des marchés économiques canadiens et les inégalités de richesse au Canada n'ont rien à voir avec celles des États-Unis.

Au moins trois raisons pourraient justifier un «Occupons le Square Victoria» comme on occupe Wall Street. Premièrement, l'économie canadienne est affectée par l'économie des États-Unis. Si OWS rejoint une portion importante de la population, le mouvement pourrait amener le Parti républicain à faire des compromis, aider le gouvernement américain à sortir de son inertie en matière de politiques économiques et contribuer à relancer l'économie américaine. Sans hausses d'impôts, avec peu d'investissements publics et avec des confrontations sans fin pour hausser le plafond de la dette, cette relance est bien plus difficile.

Deuxièmement, dire que la politique américaine (et particulièrement celle du Parti républicain) exerce une influence sur le Parti conservateur canadien est un euphémisme. Si le mouvement réussit à affaiblir l'influence républicaine ou à inciter le gouvernement à une plus forte régulation des marchés, cela pourrait aussi se refléter dans les politiques économiques conservatrices. Nos conservateurs n'en cesseront peut-être pas de prendre en exemple les républicains, mais ils auront un meilleur exemple.

Troisièmement, dans le slogan «Luttons contre la corruption à Washington», il y a le mot «corruption». Il est vrai que les problèmes de corruption au Québec portent sur un type différent de trafic d'influence. Celui du secteur de la construction et du crime organisé (et non celui du secteur des finances). Mais certains activistes, comme Lawrence Lessig, veulent amener OWS à revendiquer pour une moins grande influence de toutes les pratiques de lobbying à Washington. En encourageant OWS, les Québécois témoignent donc de leur appui à la lutte contre la corruption sous toutes ses formes.