Je suis revenu récemment au Québec après quelques années en Norvège, un pays dont l'économie repose lui aussi largement sur l'extraction de ressources énergétiques : pétrole, gaz naturel, hydroélectricité, etc.

Je travaille présentement comme consultant en énergie, surtout en Afrique, mais je continue de suivre les débats énergétiques québécois. Je rêve d'une politique énergétique québécoise un peu à la norvégienne. Une politique qui tient compte du développement durable mais qui est aussi réaliste, ce qui a permis à la Norvège de devenir un des pays les plus riches au monde.

Je trouve que les deux camps qui s'affrontent au sujet des projets hydroélectriques ont des arguments un peu simplistes. Le coût de revient d'un projet hydroélectrique (6,5, 9,5 ou 10,5 cents...) n'est qu'un critère d'évaluation et ne veut, en fait, pas dire grand-chose. La défense des projets offerte par Françoise Bertrand dans La Presse du 28 septembre semblait encore moins sérieuse.

Oui, la grande hydroélectricité est une ressource renouvelable, mais les Américains ne voient pas la chose du même oeil refusant le statut d'énergie renouvelable aux grands projets hydro. Un projet doit être évalué selon plusieurs critères, le plus important pour sa rentabilité étant les prévisions concernant les futurs prix de l'électricité. Ces exercices de prévision sont très difficiles et erronés la plupart du temps.

On peut toutefois regarder les grandes tendances: les prix du gaz naturel sont très bas en ce moment grâce au développement du gaz de schiste. Toutefois, comme toutes les ressources naturelles ont des cycles, on peut croire que le prix du gaz remontera et par conséquent, le prix de l'électricité américaine aussi, les prix des centrales au gaz étant le prix référence. Une analyse financière très poussée doit prendre en compte ces considérations, de même que les coûts, pour tirer des conclusions quant au taux de rendement interne du projet.

Dans ce contexte, il peut être souhaitable de favoriser le développement de projets québécois tel que celui de la Romaine quoiqu'une participation dans le projet Lower Churchill aurait probablement été plus rentable.

Hydro-Québec ne devrait toutefois pas mettre tous ses oeufs dans le même panier et devrait se diversifier géographiquement. Il y a maintenant près de 10 ans, Hydro-Québec s'est retirée du développement et de l'exploitation de centrales à l'étranger. Nos firmes de génie-conseil, si décriées ces jours-ci, ont néanmoins continué à jouer un rôle de premier plan dans le développement de plusieurs projets hydroélectriques en Afrique et ailleurs dans le monde. Le continent africain a un sérieux besoin de nouvelles capacités de production électriques et le développement des ressources hydroélectriques est vu comme une priorité pour répondre aux besoins.

Étant donné les énormes ressources financières nécessaires, les investisseurs privés sont maintenant les bienvenus, ce qui n'était pas nécessairement le cas il y a une dizaine d'années lorsque Hydro-Québec s'était aventurée au Sénégal avec des résultats pour le moins mitigés. Il serait peut-être temps de réévaluer la pertinence pour Hydro-Québec de regarder les opportunités d'affaires à l'international, notamment en Afrique où la croissance économique se maintient à plus de 5% par année depuis quelques temps malgré les crises dans les pays industrialisés.

La société hydroélectrique norvégienne Statkraft, bien que beaucoup plus petite qu'Hydro-Québec,  a fait de l'international une de ses priorité depuis quelques années. En moins de 5 ans, elle a  acheté ou développé  16 centrales hydroélectriques sur tous les continents. Sa filiale internationale, SN Power, ne compte pourtant que 425 employés, la plupart dans les pays où elle a investi.

Hydro-Québec demeure une entreprise très rentable qui paie de faramineux dividendes au gouvernement. La société est aussi à la fine pointe au niveau des études environnementales, malgré ce qu'en disent ses détracteurs. Pour continuer son développement,  je  proposerais  d'imiter un autre pays non reconnu pour ses ardeurs néolibérales, la France, qui, il y a quelques années, a lancé une émission d'actions publiques pour une partie du capital-actions d'EDF énergie renouvelable, cette filiale de la grande société électrique EDF qui est maintenant très présente dans le secteur éolien au Québec. Je verrais très bien 10-20% du capital-actions d'Hydro-Québec coté aux bourses de Toronto et New York.  Une partie de ces fonds pourrait d'ailleurs servir à relancer Hydro-Québec International.

On ne parle pas d'une perte de contrôle mais plutôt d'apporter une nouvelle dynamique qui pourrait aider Hydro-Québec.  Pour assurer notre croissance économique, nous devons développer nos ressources. Il est utopique de penser que le solaire, l'éolien ou l'efficacité énergétique sont les seules solutions. L'hydroélectricité est une ressource durable mais complexe à développer. Essayons de développer un consensus comme celui qui existe en Norvège où, à quelques rares exceptions, même les environnementalistes sont pour le développement de projets hydroélectriques (qui doivent notamment inclure des ascenseurs à saumon), du pétrole et du gaz naturel.

Le Québec a un grand savoir-faire hydroélectrique, pourquoi ne pas l'exporter davantage notamment en Afrique où les besoins sont criants?