La LNH doit présumer que chaque coup à la tête d'un joueur est une tentative de blesser.

La conférence de presse n'avait rien d'ordinaire. Ils n'étaient que quatre assis devant les médias, dans un espace inutilisé du CONSOL Energy Center de Pittsburgh : Ray Shero, le directeur général des Penguins, les médecins Michael Collins et Ted Carrick, et Sidney Crosby. Ils ont parlé avec sérieux et sans détour.

Ce sont les médecins, et non le directeur général ni le joueur, qui ont pris la parole en premier. Le Dr Collins, chef du programme de commotion cérébrale en médecine sportive du Centre médical de l'Université de Pittsburgh, a établi les faits entourant la blessure de Crosby, ses symptômes, le diagnostic, le traitement et les hauts et les bas de sa convalescence des derniers mois.

À son tour de prendre la parole, Crosby a fait preuve de sang-froid, relatant simplement les faits, sans pudeur apparente. Il a expliqué ce qu'il avait ressenti à chaque étape de sa convalescence. Au début, il avait l'impression d'être dans la brume, comme s'il vivait à l'extérieur de lui-même, en spectateur de sa vie. Tout autour de lui semblait avoir été déplacé. Un jour, a raconté le Dr Collins, Crosby a eu l'impression de faire une chute et son corps a réagi par réflexe alors que, dans les faits, rien ne s'était passé. Même les images papillotantes du petit écran bougeaient trop rapidement et l'étourdissaient. Lui qui avait toujours eu, dès son plus jeune âge, une vision si aiguisée sur la patinoire, mais aussi de la vie.

Maintenant, les cartes étaient brouillées. Crosby ne retrouvera une vie normale, ont affirmé ses médecins, que lorsque les maux de tête seront inexistants, même après un effort maximal. Nous ne reverrons le vrai Sydney Crosby que lorsque tout se remettra en place et, qu'en toute confiance, il pourra recommencer à créer le jeu à sa façon. Ce sera alors lui qui brouillera les cartes pour tout le monde.

De l'avis des médecins, et de Crosby lui-même, personne ne peut prédire quand cela surviendra. Étant donné tout le chemin déjà parcouru, et poussés par les questions des médias et leurs propres espoirs professionnels et personnels, les médecins et Crosby ont mis la science de côté et affirmé que cela arriverait sans aucun doute. Et lorsqu'on lui a demandé s'il était possible qu'il ait joué son dernier match, Crosby a répondu du tac au tac : « Je ne parierais pas là-dessus. »

Cette conférence de presse n'a fait que confirmer ce que nous savions déjà. Tout au long de la saison qui commence, les yeux seront rivés sur Crosby, qu'il joue ou qu'il ne joue pas.

Les temps sont durs pour la LNH, pour son commissaire, Gary Bettman, et pour le hockey. Ils sont tout aussi durs pour la NFL, son commissaire Roger Goodell, pour la NCAA et pour le football. Les blessures à la tête sont incontournables : il y en a tellement. Les plus grands noms en souffrent. Elles changent des vies. Pis encore, si cela est possible, elles sont maintenant tristement routinières.

Le coup contre Crosby avait l'air inoffensif. S'il n'avait pas été question de lui, la séquence de l'incident n'aurait même jamais joué en boucle. Et si un coup si inoffensif peut avoir de telles conséquences, qu'allons-nous faire? Qui sera le prochain? Combien y en aura-t-il d'autres? Jusqu'où cela ira-t-il? Nous savons maintenant que les carrières et les vies des joueurs ont été écourtées, réduites, anéanties par les blessures à la tête.

Ce que nous voulions ignorer nous saute maintenant aux yeux : le hockey et le football ne sont plus seulement des sports de contact, ce sont des sports dangereux.

Bettman, Goodell et tous les leaders du monde du sport qui les ont précédés n'ont fait qu'exaucer les voeux des joueurs, des partisans et des médias. Ils savent que nous voulons que nos athlètes soient meilleurs que jamais. Nous voulons qu'ils soient des versions surhumaines de nous-mêmes : nous les voulons plus rapides, plus gros, plus forts, plus habiles, plus combatifs. Peu importe les risques, peu importe la douleur, nous voulons qu'ils nous prouvent, sans l'ombre d'un doute, qu'ils ne font pas ça pour gagner des sommes astronomiques d'argent, mais bien pour l'amour du sport, de notre sport, et pour l'amour de leur équipe, de notre équipe. Nous voulons qu'ils nous prouvent à chaque instant qu'ils feront tout pour y arriver.

S'il en résulte des collisions trop dangereuses, on modifie légèrement les règles, l'équipement, les stratégies de jeu. Les commissaires l'ont fait, souvent envers et contre tous, souvent même envers et contre eux-mêmes. Malgré tout, les carrières et les vies des joueurs ont été compromises. Maintenant, tout le monde s'en rend compte.

Aujourd'hui, tout commissaire d'une ligue de hockey ou de football, à moins de se laisser distraire par les mille et un dossiers empilés sur son bureau, et de leur accorder une priorité qu'ils ne méritent pas, ne peut ignorer que pendant l'année en cours, et l'année suivante, et chaque année, des joueurs souffriront d'une blessure à la tête; que certains d'entre eux devront mettre fin prématurément à leur carrière, pensons à Paul Kariya et Eric Lindros; d'autres passeront de superstar à joueur comme les autres; quelques joueurs retraités mourront bien avant leur heure, après avoir subi, et faire subir à leur famille, l'enfer d'années de démence. Je ne suis pas alarmiste. C'est le problème qui est alarmant.

Bettman et Goodell le savent. Les directeurs des associations de joueurs de hockey et de football le savent. Et, de plus en plus, les joueurs, leurs femmes et leurs familles le savent, ainsi que leurs avocats. Les commissaires et les ligues, pour la plupart, sont sortis du déni. Ils ne cherchent plus à défendre ni à contre-attaquer. Maintenant que nous sommes tous conscients du problème, il faut trouver une solution.

Il est temps que Bettman dise ceci : le hockey est un sport extraordinaire, mais nous avons un problème. Un problème qui va empirer si nous ne prenons pas le taureau par les cornes. Nos joueurs resteront grands et forts, ils continueront à patiner vite, la puissance des collisions restera la même. L'équipement ne pourra pas évoluer assez rapidement pour réduire les risques auxquels les joueurs font face. De plus en plus, les parents choisiront pour leurs enfants d'autres sports que le hockey. Et les enfants, après quelques années de hockey, feront eux aussi ce choix. Le hockey qui fut un jour joué sans être regardé, puis joué et regardé, sera un jour, et de plus en plus, regardé sans être joué. Et plus rien ne pourra empêcher les jeux de plus en plus extrêmes. Nous n'en sommes plus aux légères modifications.

Dès aujourd'hui, pourrait dire Bettman, nous devons considérer chaque coup à la tête pour ce qu'il est : une tentative de blesser. Un coup à l'épaule, au torse ou à la hanche, dans une certaine mesure, c'est de la bonne défensive. Mais pas le coup à la tête. La tête est dans une classe à part, avec un équipement et des pénalités différentes. Le bâton élevé ne sert pas au coup à l'épaule et le coup de coude n'a rien à voir avec le coup au torse. À l'avenir, si un jeu entraîne un coup accidentel et mineur à la tête, ou si la tête est atteinte par la faute du joueur ciblé, aucune pénalité ne sera imposée. Mais, fondamentalement, et contrairement à aujourd'hui, nous devons considérer que chaque coup à la tête est une tentative de blesser, et il doit incomber au joueur fautif de prouver par ses gestes et à l'arbitre que telle n'était pas son intention.

Comme Crosby l'a dit à la conférence de presse, si la ligue demande aux joueurs d'être en tout temps responsables de leur bâton, sous peine de pénalité, pourquoi ne le seraient-ils pas de leur propre corps ? Qui plus est, si un adversaire met délibérément sa tête à risque pour qu'une pénalité soit imposée, comme c'est le cas en ce moment avec les plongeons, le joueur qui a provoqué l'incident recevra une punition.

Et que faire du joueur qui transporte la rondelle la tête baissée, un exemple souvent invoqué pour démontrer à quel point il sera difficile de bannir les coups à la tête? Avant, on croyait que la façon la plus efficace de faire avancer une rondelle était par le maniement de bâton. Le joueur qui avançait, tête baissée, les yeux rivés sur la rondelle, avait l'avantage. Ainsi, il était normal qu'un défenseur profite de ses propres avantages et qu'il propulse le porteur de la rondelle sans que celui-ci ne le voie arriver. Aujourd'hui, on croit qu'il vaut mieux faire des passes pour faire avancer une rondelle. Ainsi, un joueur qui a la tête baissée est désavantagé. Il n'a pas besoin d'être davantage puni. On peut l'arrêter facilement par de légers contacts. Dans ce cas, un coup violent à la tête (par exemple, le coup de Scott Stevens sur Lindros) n'est rien d'autre qu'une tentative de blesser. Les explications souvent offertes « parce qu'il le méritait bien » ou « parce que j'en avais l'occasion » ne sont plus suffisantes dans un contexte de commotion cérébrale et de démence.

Chaque fois qu'on discute de faire de grands changements, les mêmes exemples sont cités pour défendre le pauvre joueur lésé qui a infligé le coup lors d'un match historique. Chaque fois, on fait diversion pour éviter de parler de ce qui compte, soit la gravité des coups à la tête, et ainsi, aucune intervention n'est faite. Il faut que ça cesse. Les plus lésés dans cette histoire, ce ne sont pas les joueurs et leurs équipes, qui reçoivent à l'occasion une punition injuste. Ce sont les joueurs et leur famille qui voient leurs vies transformées. Ce sont les enfants qui décident que le hockey, ce hockey, n'est pas pour eux.

Pour Gary Bettman, le défi est de ne pas se laisser distraire par l'histoire, par les voix de ceux qui ont grandi dans le hockey, contrairement à lui-même, ou par le poids du statu quo. Il est le gardien de l'intégrité du hockey. S'il s'attaque au problème comme il le devrait, il se peut que les changements proposés ne soient pas efficaces. Il se peut que d'autres changements soient si inappropriés qu'il mérite les railleries des partisans et des médias. Mais il apprendra, et nous apprendrons avec lui. Et il serait bien pire d'être raillé par les joueurs blessés pour n'avoir pas pris les mesures qui s'imposent.

Plusieurs changements peuvent être mis en oeuvre cette saison. Ceux-ci pourraient avoir des répercussions significatives si leur objectif de prévenir ou de réduire les blessures à la tête n'est pas oublié et si les règles qui soutiennent cet objectif sont appliquées infailliblement. Les autres démarches prendront plus de temps et auront de plus grands impacts, mais nous pouvons déjà mettre le train en marche.

Selon moi, il n'y aura pas de grand bouleversement et moins de joueurs que l'on croit en subiront les conséquences. Selon moi, ces changements amélioreront nos matchs, et pas seulement du point de vue de la sécurité. Si nous changeons les règles, les joueurs et leurs entraîneurs trouveront de nouvelles façons créatives de s'adapter, d'être plus rapides et meilleurs que leurs adversaires, d'en sortir gagnants, tout simplement parce que c'est dans leur nature. C'est leur travail d'être créatifs et imaginatifs. Ils sont compétitifs. Ils ont besoin de gagner.

Un jour, les joueurs et les entraîneurs de hockey et de football ont inventé la passe avant et ont réussi à relancer des matchs qui n'étaient plus qu'un emmêlement immobile de corps. Ils inventeront autre chose. Il ne faut pas les sous-estimer. Les plus médiocres vont protester, ils ont peur de ne pouvoir s'adapter, et jusqu'à maintenant, nous avons cédé. Mais aujourd'hui, nous n'avons plus le choix.

Et que penser des bagarres ? Si l'on bannit les coups à la tête, pourquoi ne pas bannir les coups de poing ? Il fut un temps où les joueurs de hockey se défendaient eux-mêmes. Un coup de coude sur le nez ou un coup de bâton sur le bras, qu'il soit petit, qu'il soit gros, qu'il soit bon ou mauvais batailleur, chaque joueur devait se défendre lui-même. La plupart étaient de piètres bagarreurs. Debout, sur leurs patins, ils luttaient, glissaient, ils se lançaient d'un côté et de l'autre. C'était du vaudeville. Maintenant, les combats se déroulent entre les bagarreurs désignés des équipes. Ces bagarreurs savent ce qu'ils font et, bien qu'ils soient en mesure de se protéger, ils sont suffisamment habiles pour infliger des blessures. Maintenant, les questions ressurgissent : pourquoi l'autopsie des cerveaux de Reggie Fleming et de Bob Probert, deux bagarreurs ayant sévi à deux époques différentes, a-t-elle permis de démontrer des dommages au cerveau ? Pourquoi est-ce que trois durs à cuire de notre époque, Derek Boogaard, Rick Rypien et Wade Belak, de jeunes hommes riches qui avaient toute la vie devant eux, se sont suicidés dernièrement? Nous n'avons pas la réponse, mais nous savons qu'il faut la chercher.

Le règlement de la LNH fait judicieusement la différence entre la mise en échec qui entraîne un coup à la tête et le coup direct à la tête, et traite les bagarres distinctement. Dans une mise en échec illégale, la tête est visée et constitue le point de contact principal. Mais dans une bataille, la tête n'est-elle pas visée ? N'est-elle pas le point de contact principal ? Le poing fait partie du corps, non ? Et dans les bagarres d'aujourd'hui, qui impliquent des joueurs qui savent se battre, quelle distinction doit-on faire entre l'épaule de Niklas Kronwall et le poing de Zdeno Chara? Il s'agit de blessures à la tête, pas de décider s'il faut se battre on non. Il s'agit des dommages inacceptables que les coups à la tête entraînent dans les vies et dans le sport.