Si les dernières années ont été marquées par un désenchantement croissant face à la chose politique, l'année en cours, elle, se veut tragicomique. Les infrastructures québécoises sont, semble-t-il, dans un état lamentable. Des ponts qui s'émiettent littéralement, des routes fissurées, des voies congestionnées, et des conducteurs au bord de la crise de nerfs - tel est le portrait du système routier québécois à l'heure actuelle. Après la médecine de corridor, l'urbanisme des cônes orange.

Et, alors que les artères de la métropole sont obstruées, aucun plan véritablement structuré n'est adopté, si bien que les problèmes ne sont corrigés qu'à court terme. Pendant ce temps, divers camps, factions, écoles, tendances et regroupements tergiversent, chacun défendant ses intérêts propres alors que l'intérêt de la majorité, lui, paraît compromis.

Ainsi, pendant que règne une frustration bien légitime, on entend des appels à «l'action décisive» de plus en plus forts et de plus en plus répétés. Pour plusieurs il suffit de se remémorer, non sans nostalgie, l'époque où un certain Jean Drapeau régnait sur Montréal pour constater que le problème actuel en est un de leadership. Pour ces gens, la solution est simple: il faut mettre un terme aux «enfantillages» des divers groupes d'intérêts. Et seul un leader fort - un «homme fort», pour utiliser l'expression consacrée - serait en mesure d'y arriver.Les arguments en faveur d'un leadership directif, énergique, et libre d'entraves sont bien connus. Le bon leader, dit-on, sait s'élever au-dessus de la mêlée afin d'imposer une direction unique. Il ne se laisse pas distraire par les lobbys qui tentent d'influencer le débat public en fonction de leurs intérêts particuliers. Il ne se laisse pas arrêter par la minorité qui s'oppose au projet appuyé par la majorité.

Ainsi, il construit les routes là où l'on veut qu'elles passent, point à la ligne. Il construit des amphithéâtres et des stades olympiques parce que les gens veulent des amphithéâtres et des stades olympiques. Et il n'a que faire des bureaucrates, des agences, et des comités.

Le bon leader, en somme, serait l'incarnation même de la volonté populaire en action.

Mais voilà, la réalité n'est pas si simple. Si le leader s'entiche d'un projet, aussi mal avisé soit-il, il le mène à terme peu importe les coûts économiques et sociaux. Et ce sont les générations suivantes qui paient la note.

Il suffit de penser au style directif et énergique de Jean Drapeau, qui a amené les Jeux olympiques à Montréal, des jeux qu'il a fallu plus de 20 ans pour payer. Par ailleurs, on peut douter du fait qu'un homme, quel qu'il soit, puisse réellement s'élever au-dessus de la mêlée.

Le politicien représente nécessairement une coalition d'intérêts particuliers, aussi large soit-elle. Et, surtout, l'homme fort devient pratiquement indélogeable une fois qu'on lui délègue suffisamment de pouvoirs. Malheureusement, ce qu'on donne on peut difficilement reprendre. À ce titre, Maurice Duplessis est l'homme fort québécois par excellence.

Lorsque les infrastructures s'effondrent, le citoyen ne peut que se révolter face aux lourdeurs inhérentes au processus démocratique. Mais c'est négliger une réalité importante: le citoyen insatisfait des décisions de l'homme fort ne dispose d'aucun recours. Pour lui, les règles et les procédures ne sont que des obstacles. À celui qui se réveille avec des cônes orange dans son salon, il répond que la majorité a parlé. Un train dans votre cour? Achetez des bouchons.

Et c'est précisément la raison pour laquelle il vaut mieux débattre et délibérer que de s'abandonner aux promesses du mythique homme fort. Et ce, même s'il promet de belles routes.