Il y a exactement 10 ans, j'apprenais qu'une nouvelle vie grandissait en moi. Mais je n'ai eu que 24 heures pour profiter pleinement de cette extraordinaire nouvelle.

Car dès le lendemain, ma joie, mon euphorie à l'idée de savoir que je portais en moi tant d'amour ont été remplacées par la peur de donner naissance dans un monde aussi terrifiant. Étions-nous en guerre? Quel avenir pouvais-je promettre à cette enfant, qui n'en était pas encore tout à fait une?

Il m'a fallu plusieurs semaines pour comprendre que malgré le fait que nos vies avaient sérieusement basculé ce jour-là, elles continueraient tout de même leur cours (quasi) normal. Que c'était un événement isolé, quoique spectaculaire, à tout le moins de notre côté de la planète. J'ai poussé un soupir de soulagement derrière mes oeillères nord-américaines. Non, la guerre que nous voyions à la télévision ne s'était pas déplacée dans notre cour, elle n'y avait fait qu'une incursion quoique fort dramatique.

Oui, les choses ont changé, mais nos vies sont-elles à ce point différentes d'avant cet appel de mon amie australienne qui me criait en anglais: «As-tu vu l'avion s'écraser dans la tour? Ouvre la télé!»

Pendant quelques mois, nous avons vécu dans la peur, l'angoisse, la paranoïa. Le premier avion ayant survolé Montréal quelques jours après les attentats m'a coupé le souffle, m'a terrorisée. Allait-on subir un sort semblable à celui des New-Yorkais? Évidemment que non...

Petit à petit, la joie de me savoir future maman a doucement pris le dessus sur ma peur d'un avenir incertain pour ma fille. Mais, parallèlement, la culpabilité naissait en moi. La culpabilité de savoir que le lieu de ma naissance, et de celui de ma fille, nous protégeait contre un quotidien perpétuel de feu et de sang. Que ce triste sort serait plutôt réservé à de futures mamans loin de moi et de ma réalité. À des enfants qui, avant le 11 septembre, faisaient déjà face à une vie entachée par la violence.

Mais moi, le 6 mai de l'année suivante, berçant ma fille dans ma banlieue bordée de fleurs et d'asphalte, je poussais encore un soulagement «pas-dans-ma-cour-esque» à peine audible, ayant un peu honte de mon bonheur. Mais je ne pouvais, je ne voulais m'en départir. Il était à moi et l'est toujours.

Merci, ma belle Julianne, d'avoir été ma lueur d'espoir en ces temps sombres. Je n'ai peut-être pas eu plus de 24 heures pour célébrer pleinement l'annonce de ta venue, mais cette dernière a été le baume qui a pansé cette plaie béante qu'a laissée ce 11 septembre.

Grâce à toi, chaque année, je célèbre le 10 septembre tout autant que je me remémore le lendemain. Tu es l'équilibre nécessaire dans ma vie.

Je t'aime, coccinelle.