Jeune reporter affecté à la couverture de la vie politique provinciale et fédérale, au début des années 70, j'adorais et je détestais me retrouver sur les mêmes affectations que Michel Roy, qui était déjà une star du journalisme au Devoir.

J'adorais me retrouver en sa présence parce qu'il était d'une gentillesse inouïe, n'hésitant jamais à donner un conseil aux jeunes reporters comme moi, même s'ils travaillaient pour la concurrence.

En même temps, je détestais le rencontrer sur les mêmes «jobs» que moi parce que je craignais jusqu'au lendemain matin, quand je pourrais comparer son texte dans Le Devoir au mien dans La Presse, que le sien soit meilleur, mieux documenté, plus complet, mieux écrit. Ce qui était malheureusement pour moi trop souvent le cas...

C'est donc avec un immense plaisir que j'appris, au début des années 80, qu'il avait fait défection et s'en venait travailler chez nous. Car, pour un très grand nombre de journalistes de ma génération, Michel Roy était un monument. Un monument de rigueur, un monument d'érudition (surtout en matière politique), un monument de jugement de qui nous tirions un immense plaisir à recevoir ses encouragements, voire ses félicitations.

D'ailleurs, rares étaient les journées où un politicien, y compris des premiers ministres, ne l'appelaient pas pour solliciter son avis ou obtenir son assentiment sur tel ou tel sujet.

Je le revois encore, traversant la salle de rédaction avec son éternel sourire bienfaisant accroché au visage, et s'approchant d'un journaliste pour lui expliquer, toujours avec une infinie délicatesse, en quoi son texte devait être recommencé, raccourci ou rallongé, tourné différemment, etc. L'ABC du métier dont il ne s'est jamais lassé, même s'il occupait désormais d'importantes fonctions administratives.

Il n'y a qu'un mot pour exprimer le sentiment que la plupart des journalistes éprouvaient à son égard: le respect. Respect humain et respect professionnel.

Devenu moi-même cadre quelques années plus tard, j'eus la chance de le côtoyer de plus près.

Quel immense privilège de travailler avec cet homme de compromis qui cherchait continuellement les meilleures solutions aux problèmes, sans jamais blesser qui que ce soit, occupant le poste stratégique d'éditeur adjoint de La Presse avec humilité et... une certaine bonhomie.

Mais toujours, Michel Roy conservait en lui son vieux fond de journaliste. Son plus grand plaisir, selon moi, est toujours demeuré de peaufiner un éditorial jusque tard en soirée, d'en vérifier tous les angles et d'en travailler l'écriture jusqu'à ce qu'il en soit entièrement satisfait.

À ce moment-là, on le voyait éteindre la lumière de son bureau et quitter le journal tout doucement, comme s'il avait peur de déranger. Tel était le Michel Roy que j'ai tant aimé côtoyer.