Si le seul enjeu des élections consistait à choisir comment on allait dépenser une enveloppe budgétaire donnée, provenant d'impôts préétablis, tout serait tellement plus simple. La plateforme conservatrice met l'accent sur la défense nationale et la sécurité tandis que la plateforme libérale est tournée vers l'éducation et le volet social. On ne voterait alors pratiquement qu'en fonction de nos valeurs sociales respectives. Malheureusement, les choses sont plus compliquées. Les partis ne se contentent pas de nous offrir des priorités de dépenses différentes; ils nous demandent aussi de décider de la taille de l'enveloppe à dépenser et de la manière de la financer. L'enveloppe conservatrice sera de moindre ampleur et exigera davantage de compressions de dépenses. L'enveloppe libérale sera plus grande et moins agressive du côté des réductions de dépenses. En revanche, elle coûtera plus d'impôts.

Que signifient, en pratique, ces compressions plus agressives des conservateurs et ces impôts plus élevés des libéraux? Afin de livrer leurs promesses plus tôt que prévu, les conservateurs ont littéralement doublé la mise des compressions attendues de l'examen stratégique et opérationnel des dépenses annoncé lors du dernier budget. En supposant que cet examen épargnera les transferts aux provinces et aux personnes ainsi que la défense nationale, il faudra donc comprimer le reste des dépenses de près de 9% d'ici deux ans, et de plus de 13% d'ici quatre ans. Pour ceux qui s'en souviennent, Paul Martin avait lui aussi sabré ce type de dépenses de plus de 9% sur deux ans, lorsqu'il s'était attaqué au déficit budgétaire. Cependant, après quatre ans, la coupe effectuée par Paul Martin était toujours de l'ordre des 9%. La cible de réduction des conservateurs est donc plus agressive que celle de Paul Martin à une époque où le déficit était autrement plus terrifiant. On est en droit de demander aux conservateurs où ils effectueront ces coupes.

Du côté des libéraux, les dépenses sociales accrues et la pudeur en matière de réduction des autres dépenses vont évidemment produire une augmentation plus rapide des dépenses totales du gouvernement. Les libéraux ne se sont engagés que pour deux ans, mais leurs nouvelles initiatives de dépense sont de nature récurrente. En supposant qu'ils ne fourniront que le quart de l'effort promis par les conservateurs en matière de réduction des autres dépenses, les libéraux se retrouveront donc dans quatre ans avec 21,3 milliards de dépenses annuelles supplémentaires à financer. Si, comme il est réaliste de le penser, l'augmentation du taux d'imposition des sociétés ne rapporte que 2,2 milliards de dollars par année, ils devront trouver 19,1 milliards de dollars d'impôts additionnels. Et même si on devait adopter leur vision très optimiste selon laquelle l'augmentation de l'impôt des sociétés pourrait rapporter jusqu'à 6 milliards de dollars, ils devraient tout de même trouver 15,3 milliards de dollars additionnels du côté des impôts, à moins, bien sûr, qu'ils n'abandonnent la lutte contre le déficit. On est en droit de demander aux libéraux d'où viendront ces impôts.

Les électeurs ont donc des choix difficiles à faire en 2011. Certains seront d'accord avec la plateforme conservatrice sur le plan des priorités et des valeurs tandis que d'autres se reconnaîtront beaucoup plus dans la plateforme libérale. Mais le Canada compte également son lot de «libéraux sociaux et conservateurs fiscaux». Les électeurs qui correspondent à cette définition aimaient bien la politique fiscale d'un Paul Martin, politique qu'ils retrouvent cette année davantage chez les conservateurs. Ces électeurs font partie des victimes de la plus grande polarisation des enjeux sociaux et économiques qui caractérise le Canada d'aujourd'hui.