Quand il est question d'intimidation à l'école, l'accent est mis la plupart du temps sur la dénonciation et la répression du phénomène. Il faut effectivement «corriger», dans tous les sens du terme, les intimidants; il faut aussi favoriser dans toute la mesure du possible la dénonciation de ces agressions par les victimes.

Mais il y a aussi la face cachée de la lune, l'autre volet du problème, celui des «intimidés». Il y a des gens qui sont victimes d'intimidation plus souvent, plus facilement que d'autres. Les gens qui sont tendanciellement victimes d'intimidation, le sont en raison de différences visibles ou d'attitudes (par exemple, la «face à claque»). Il est difficile de «corriger» les différences surtout celles qui sont de l'ordre du handicap apparent, de même que celles qui sont d'origine ethnique. Il faut apprendre à «vivre avec».

Restent les attitudes. Voilà un terrain sur lequel il est possible d'intervenir parce qu'il s'agit d'un phénomène de civilisation. L'éducation d'aujourd'hui est surprotectrice. Un enfant se fracture une jambe au gymnase de l'école et, dès le lendemain matin, 14 psys se présentent pour aider les élèves à «gérer la crise». La cour de récréation est marquée au coin d'un angélisme qui devrait inquiéter.

À la maison, c'est le règne du tout cuit dans le bec quand ce n'est pas celui du tout est permis. Les enfants n'ont même pas à se débattre, à se débrouiller pour organiser leurs loisirs. Tout est providentiellement prévu pour eux. Ils n'ont pas non plus à apprendre à négocier, à faire valoir leur point de vue. En fin de compte, cela fait des enfants qui sont faibles, passifs, dépendants et sans défense.

L'enfant roi n'a pas à se défendre; il a sa garde rapprochée. N'ayant pas d'anticorps sociaux, ces enfants sont les victimes idéales de l'intimidation. Seuls les «rouspéteurs congénitaux» arrivent à s'affranchir du carcan de la surprotection.

Plutôt que de concentrer tous les efforts à réprimer et à essayer de guérir les intimidants, vaudrait mieux armer les victimes tendancielles d'intimidation de telle sorte qu'elles cessent d'être vues, senties et traitées comme des victimes. C'est en quelque sorte le «bras armé» de la victimologie, son volet proactif. Non seulement on aiderait les victimes à s'en sortir sans trop de dommages, mais encore on les amènerait à modifier leurs attitudes de base dans les rapports humains pour qu'elles arrivent à en imposer, à inspirer la confiance et le respect. Une personne qui irradie la confiance est rarement, pour ne pas dire jamais, victime d'intimidation.

Il existe des organismes, comme «Pleins pouvoirs», qui tentent de faire une percée dans cette direction pour civiliser les rapports humains violents en travaillant à armer les victimes potentielles. Il serait essentiel à ces mouvements de recevoir un appui public sans équivoque.

On ne pourra jamais éradiquer la violence et l'instinct d'agression et de domination chez l'être humain. Une façon de l'aider à ce faire consiste à réduire le nombre de proies, de victimes potentielles. Dans la mesure où les prédateurs incorrigibles ne trouveront plus d'herbe tendre à bouffer auprès de leurs semblables, dans la même mesure ils devront bien trouver d'autres pâturages.