Le phénomène d'échange d'images osées entre ados (La Presse, 24 février) n'est ni nouveau ni propre à la société québécoise. Les nouvelles technologies ouvrent des portes à tout un monde de possibilités et les jeunes sont à l'avant-scène de ces développements. Et comme l'ont constaté des chercheurs en 2004, «le sexe sur l'internet est envahissant - environ 70% du matériel sur l'internet porte sur le sexe».

Banalisé et omniprésent, l'exhibitionnisme sexuel ambiant qu'affichent certains adultes a un impact sur le comportement et la perception qu'ont les jeunes de la sexualité. Dans plusieurs pays du monde, de plus en plus de jeunes s'envoient des images à caractère sexuel, harcèlent ou affichent des propos diffamatoires sur le web par le biais de leurs cellulaires ou de leur iPhone, ou explorent leur sexualité par l'entremise de rencontres anonymes facilitées par l'internet.

On doit remonter aux années 90 pour voir apparaître les premières manifestations d'un lien pernicieux entre ces technologies et l'exploitation des jeunes. Le phénomène catalogué comme compensated dating a fait son apparition au Japon, où de jeunes filles et garçons, souvent de milieux aisés, utilisent des nouvelles technologies pour rencontrer des hommes et entrevoir des relations sexuelles avec eux. Ces enfants mineurs reçoivent en échange une séance de magasinage, de nouveaux vêtements, un nouveau téléphone ou de l'argent.

On est loin de l'image classique de la prostitution des enfants, qui nous renvoie à un enfant pauvre, victime de violence et d'abus à la maison, qui finit par fuguer, vivre dans la rue et en est réduit à se prostituer pour survivre. Cette nouvelle forme de prostitution s'est étendue un peu partout dans le monde. Et la réponse, partout, reste souvent la même: on blâme l'enfant, considéré comme une fille légère puisque c'est elle qui le voulait bien, qui a sollicité «volontairement» la relation. Il ne s'agit pas de «survie», mais d'un moyen pour acquérir un nouvel ordinateur ou des chaussures de sport haut de gamme.

Cette «vente pro active» de services sexuels par des jeunes en se servant de la technologie moderne a déboussolé la conception des adultes. Habitué à considérer les enfants comme des victimes potentielles qui doivent être protégées du danger que représente le web, les parents et les responsables des politiques publiques s'étaient surtout concentrés à développer des stratégies de protection, voire parfois de diabolisation pour barrer l'accès aux nouvelles technologies aux jeunes utilisateurs.

Reste donc à clarifier ce point: est-ce que l'enfant devrait être tenu responsable s'il envoie des photos compromettantes de son ami (e), ou s'il sollicite une relation sexuelle par l'intermédiaire de l'internet? L'enfant ne semble pourtant pas une victime, mais bien l'instigateur de l'initiative, en contrôle de la situation.

Un élément central du droit de l'enfant doit absolument éclairer notre jugement: un enfant ne peut jamais consentir à sa propre exploitation. Pour en arriver là, il y a des droits qui ont été bafoués, des problèmes qui n'ont pas été résolus. Et c'est à la famille, aux médias, aux gouvernements, aux écoles, à la communauté, de se questionner pour tenter de comprendre comment on en est arrivé là.

Selon un consensus international de spécialistes en droits de l'enfant, les actions devraient se décliner dans trois sphères: l'éducation des jeunes quant à leur responsabilité citoyenne et légale en diffusant des images ou des textos à caractère sexuel et dégradant; l'implication du secteur privé dans la mise en garde et dans la dénonciation de ce phénomène; la mise en place de stratégies, surtout des campagnes d'information et d'éducation, dont l'éducation à la sexualité par les pouvoirs publics.

Aider les enfants et les jeunes à grandir dans un environnement sain et sécuritaire nécessite que les adultes ne banalisent pas ces phénomènes et se mobilisent.

* Francine Duquet est sexologue et professeure au département de sexologie de l'UQAM; Nadja Pollaert est directrice générale du Bureau internationale des droits des enfants.