Dans la pièce de Molière, deux jeunes femmes sont pendues au cou d'un Don Juan dans l'embarras. Faire la cour à deux femmes en même temps, soit, mais préférablement à leur insu. Son jeu menace d'être mis à jour.

- «Je vous adore, tous les visages sont laids auprès du vôtre», susurre-t-il à l'oreille de la première.

- «Je suis tout à vous, on ne peut plus souffrir les autres quand on vous a vue», confie-t-il doucereusement à la deuxième.

Plaise à Dieu qu'aucune ne découvre la duperie!

Le gouvernement Charest joue un jeu dangereux dans le dossier climatique. Dans quelques jours, au Mexique, à l'occasion du sommet de Cancún, le premier ministre réitérera son engagement indéfectible en faveur de la lutte contre les changements climatiques. Ban Ki-moon sera là, les Européens, des représentants d'États fédérés. La presse québécoise. On aura sans doute droit à de belles déclarations enflammées. Pensez, quelle belle occasion de briller parmi les meilleurs!

Et lorsqu'il reprendra l'avion pour le Québec, le premier ministre pourra à nouveau assurer les représentants de l'industrie pétrolière et gazière du soutien empressé de son gouvernement. La même chose aussi pour les constructeurs de routes et des grands travaux d'infrastructures autoroutières.

Seulement, ces deux discours sont difficilement compatibles. On ne peut, d'un côté, prétendre jouer un rôle de leader nord-américain dans le dossier du réchauffement planétaire et, de l'autre, encourager activement le développement des activités industrielles à la base même du problème.

L'utilisation des carburants fossiles (charbon, pétrole, et gaz naturel) est responsable de la très grande majorité des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Éviter une catastrophe climatique nécessite une réduction rapide et systématique de ces émissions. Le temps est compté. Au Québec, la majorité des émissions proviennent de l'utilisation du pétrole et du gaz naturel. C'est là qu'il faut couper pour faire notre part.

Difficile à faire lorsqu'on cherche à tout prix à cajoler les mannes du Vieux Harry et à se jeter sur des puits de gaz de schiste comme un toxicomane sur une ligne de cocaïne.

Selon les calculs d'Équiterre, basés sur les données d'une très récente analyse du New York State Department of Environmental Conservation (NYSDEC), l'exploitation éventuelle des gaz de schiste plomberait le bilan d'émissions du Québec de quelque 5,7 millions de tonnes de gaz à effet de serre supplémentaires, soit la moitié de l'objectif de réductions domestiques que s'est donné le gouvernement du Québec à l'horizon 2020. Et ceci sans compter l'exploitation éventuelle de pétrole dans le golfe du Saint-Laurent, ni les centaines de kilomètres de nouvelles autoroutes que nous construisent le gouvernement du Québec et un oligopole d'entrepreneurs d'asphalte.

Difficile de voir comment le gouvernement pourrait prétendre à un rôle de leader mondial sur la question des changements climatiques tout en cherchant activement à devenir une nouvelle pétro-province.

Pourtant, le Québec peut effectivement jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale en matière de changements climatiques. Nous nous sommes donnés des objectifs ambitieux de réduction d'émissions de GES. Nous avons imposé une redevance sur les hydrocarbures, la première du genre sur le continent. Plusieurs de nos grands secteurs industriels ont réduit leurs émissions en se modernisant. Et nous sommes bel et bien une superpuissance hydroélectrique à moindres émissions de carbone.

On peut concilier avantageusement environnement et développement économique et social. Et ainsi briller parmi les meilleurs, à juste titre, sur la scène mondiale.

On peut, mais pour ce faire, il faut choisir. Ces deux visions sont incompatibles. Épouser l'une, c'est délaisser l'autre.

Don Juan devra arrêter son choix.

Hugo Séguin

L'auteur est conseiller principal chez Équiterre.