Drôle de logique que celle qui sous-tend le propos du chroniqueur Michel Girard dans La Presse du 24 octobre 2009. Se fondant sur les données de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ), il affirme que la rémunération hebdomadaire moyenne versée dans le secteur public en 2008 était de 30% supérieure à celle versée dans le secteur privé, soit 847$ comparativement à 664$.

De tels résultats peuvent surprendre. Surtout quand on sait qu'une autre étude annuelle de l'ISQ, celle qui porte spécifiquement sur l'état et l'évolution comparés de la rémunération des salariés, aboutit à des constats opposés. Pour 2008, les employés de l'administration québécoise accusent un retard salarial de 5,2% par rapport à ceux du secteur privé. Par rapport à l'ensemble des autres salariés québécois, le retard est de 7,7%.

En fait, tout le problème vient du fait qu'il faut comparer des oranges... avec des oranges.

Le Front commun SISP-CSN-FTQ, qui dépose ses demandes ce vendredi, représente les salariés des réseaux de la santé et de l'éducation ainsi que de la fonction publique, ce que l'ISQ appelle l'administration québécoise. Cela exclut les salariés de l'administration fédérale, des municipalités, des utilités publiques et des universités.

Or, les chiffres évoqués par Michel Girard procèdent d'un tel amalgame. Ils proviennent d'une compilation faite par l'ISQ des données de l'Enquête sur la population active de Statistique Canada, qui présente les rémunérations moyennes par grand secteur d'activité, sans égard aux caractéristiques des employés en matière de compétences, d'expérience, de statut, d'âge et de sexe, etc.

En revanche, dans son rapport annuel sur l'état et l'évolution comparés de la rémunération dans l'administration québécoise, l'ISQ cherche à trouver à l'extérieur de l'administration québécoise des emplois similaires à ceux qu'on y retrouve et à comparer leurs salaires et avantages sociaux. Cela paraît fort honnête, le souci premier étant de comparer des choses comparables.

Dans le cas de Michel Girard, les chiffres évoqués ne sont sans doute pas faux, mais ont-ils un sens autre qu'un banal constat empirique? On ne se soucie pas de savoir si les employés font le même travail. De fait, le type de travail effectué n'a aucune importance aux fins de cette étude, ni d'ailleurs les statuts d'emploi.

En outre, l'étude ne s'encombre pas des différences de composition professionnelle des divers secteurs. Qu'un secteur fasse davantage appel à des emplois hautement qualifiés, et vraisemblablement mieux rémunérés, plutôt qu'à une main-d'oeuvre moins qualifiée n'entre aucunement en ligne de compte. En fait, on ne se soucie guère de savoir si on compare des choses comparables. En fin de compte, on ne compare rien du tout. On ne fait que compiler des données sur la rémunération dans divers secteurs d'activité, en soulignant grassement que les employés du secteur public commandent, dans l'ensemble, des salaires supérieurs.

Le terme de comparaison, pour qualifier un tel exercice, est vraiment abusif. Il est bien évident, par exemple, qu'on observera un salaire moyen supérieur dans l'enseignement que, disons, dans le secteur du commerce, parce que l'enseignement regroupe surtout des professeurs qui ont des salaires relativement plus élevés que ceux des travailleurs du commerce. Il n'en découle pas pour autant qu'une secrétaire de commission scolaire est mieux payée que son homologue du secteur du commerce. En réalité, c'est même l'inverse!

La chronique de Michel Girard vient jeter de la confusion en attisant des préjugés au sujet de la rémunération des employés du secteur public qui datent d'une autre époque. Mais cela ne change rien à la réalité. Les salariés du secteur public accusent encore un net retard sur ceux du secteur privé pour des emplois comparables.

Monique Audet, Pierre Beaulne et Lise Pomerleau

Les auteurs sont respectivement économistes à la FTQ, au SISP et à la CSN.