Peut-on décemment ignorer ou mépriser la méfiance des Québécois envers les accommodements raisonnables consentis pour des motifs religieux? Non, bien sûr. Pourtant, depuis la commission Bouchard-Taylor, l'inconfort populaire, d'aucune façon soulagé par cet exercice surtout pédagogique, continue à être ignoré ou traité par le mépris.

Un sondage Angus Reid/La Presse révélait, mardi, que les Québécois sont hostiles aux accommodements dits raisonnables. Il y en a trop, estiment-ils à hauteur de 68%. Et on ne devrait plus y consentir (entre 57% et 90%, selon les cas d'espèce).

Face à cela, la médecine traditionnelle du multiculturalisme prescrit essentiellement de... prendre deux aspirines puis de garder le lit! Et en attendant que la fièvre retombe, y'a pas de souci: «Heureusement que les droits (...) ne sont pas soumis à la volonté de la majorité», dit Marie McAndrew, titulaire de la chaire en relations ethniques à l'Université de Montréal. Pour sa part, le gouvernement Charest a remisé le projet de loi 16 sur la diversité culturelle, lui-même inoffensif puisqu'il balayait déjà sous le tapis bureaucratique la question des accommodements dans la fonction publique.

Pour l'heure, ce dossier sensible demeure donc administré surtout par la Commission des droits de la personne, qui émet des opinions sur demande et à la pièce. Depuis un an, elle a analysé 42 cas liés à la religion.

C'est peu.

Mais ce n'est pas une question de quantité.

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Certes, comme cela a déjà été souligné ici, un grand chantier juridico-législatif n'est pas toujours le meilleur moyen de pacifier des frictions sociales.

Mais celles-ci mettent en lumière le fait capital que, un demi-siècle après le début de la Révolution tranquille, le Québec n'a pas encore défini clairement sa conception de la laïcité institutionnelle - comme d'autres, ailleurs, l'ont fait. Et elles démontrent l'urgence de se donner un «mode d'emploi» des droits dans le cadre d'une société laïque, administrée par un appareil d'État laïque lui aussi.

Il ne s'agit pas de hiérarchiser les droits. Ni de privilégier celui qui prévoit l'égalité des sexes. Mais bien d'encadrer politiquement le religieux lorsqu'il s'aventure dans l'espace public, se plaçant ainsi de son propre chef sur le terrain, justement, du politique.

Faut-il pour cela une charte, comme le recommandent divers groupes de pression?

Pas nécessairement: peut-être suffirait-il d'un gouvernement qui prendrait son courage à deux mains et placerait solennellement des balises claires. Mais si nécessaire, la chose est faisable. L'opinion de la Cour suprême évolue en cette matière. De sorte «qu'une législation présentant l'objectif gouvernemental réel de préserver la laïcité des institutions publiques pourrait (...) être validée par la Cour», estime Julie Latour, ex-bâtonnière du Barreau de Montréal (dans: sisyphe.org).

Certes, tout ça est lancinant et pénible, ce qui explique en bonne partie l'exaspération des gens.

Mais il serait plus pénible encore de voir se ratatiner l'espace «sans dieux», accueillant et équitable, que le Québec s'est donné petit à petit au cours des dernières décennies.