Bernard Landry vient d'enfourcher un vieux cheval de bataille de l'aile radicale du PQ: il joint maintenant sa voix à celles des gens qui réclament l'interdiction des cégeps anglais aux allophones.

M. Landry s'opposait pourtant à cette mesure quand il était premier ministre. Il soutient aujourd'hui que le laisser-faire a produit des résultats décevants. Les chiffres ne lui donnent pas raison. Comme auparavant, la proportion d'allophones qui choisissent le collégial en anglais tourne autour de 40%, et elle a même légèrement diminué ces dernières années. Ce n'est pas la situation linguistique qui a changé, c'est celle de M. Landry!

La retraite lui ayant permis de recouvrer sa liberté de parole, il prône ce qu'aucun gouvernement péquiste n'a voulu faire et ce qu'il ne ferait pas lui-même advenant son retour dans le fauteuil du premier ministre. Car si ce sont d'abord et avant tout les enfants d'immigrants que les péquistes veulent empêcher de faire leur collégial en anglais, la loi devrait aussi, en toute logique, s'appliquer aux jeunes francophones de souche. Or, il n'y a pas un gouvernement qui osera contrecarrer une clientèle aussi nombreuse que celle des familles francophones animées par le désir bien légitime que leurs enfants soient bilingues.

Même si les francophones qui fréquentent les cégeps anglais sont peu nombreux (quelque 4% du total), la population francophone tient mordicus à garder le libre choix. C'est pourquoi Pauline Marois jongle avec toutes sortes de formules compliquées pour retarder le moment de se brancher sur la question.

De toute façon, il n'y a pas péril en la demeure, sauf pour la cohorte des paranoïaques de la langue.

Retournons la statistique: si 40% des allophones qui ont fait leur primaire et leur secondaire dans des écoles françaises (ce qui signifie qu'ils parlent tous français couramment) font leur collégial en anglais, cela veut dire que 60% - donc la majorité - choisissent librement de poursuivre leurs études en français.

On m'accusera de voir le verre à demi plein là où d'autres le verraient à demi vide, mais je trouve que le fait qu'une majorité de jeunes allophones fassent leur collégial en français sans y être aucunement forcés est un phénomène fort encourageant.

Quant aux jeunes francophones de souche, qui viennent souvent de familles unilingues, quel problème y aurait-il à ce qu'ils profitent de ces deux ou trois années de cégep pour faire une immersion en anglais? La tentation demeurera, en tout cas, tant que l'on n'aura pas amélioré la qualité de l'enseignement de la langue seconde dans les écoles françaises. Tous les parents n'ont pas les moyens d'offrir à leur progéniture des séjours prolongés dans de chics colonies de vacances ontariennes ou américaines!

Même si l'on étendait la loi 101 au niveau collégial, il resterait toujours une autre option, soit de faire le saut linguistique au niveau universitaire. Nombre de jeunes francophones fréquentent des universités anglaises, soit parce qu'ils veulent perfectionner leur anglais dans un milieu intellectuellement stimulant, soit parce qu'ils sont attirés par tel programme de Concordia ou par la réputation de McGill. Cela peut avoir beaucoup plus de conséquences socio-familiales qu'une immersion de deux ans au cégep anglais, tant il est vrai que c'est souvent à l'université que l'on rencontre son conjoint, que l'on se bâtit un réseau d'amis et de relations.

Alors quoi? Faudrait-il fermer McGill, Concordia et Bishop ou les forcer à se franciser? On voit bien que cela ne tient pas debout. Les trois universités anglaises du Québec font partie du patrimoine québécois, qu'ils enrichissent à maints égards. Et les francophones de souche seraient les premiers à hurler si on leur interdisait de fréquenter l'université de leur choix.