Dans les débats publics, le «timing», le choix du bon moment, est un ingrédient essentiel du succès. Les centrales syndicales, qui amorcent le processus de négociation avec le gouvernement québécois, font face à un colossal problème de synchronisation.

Les syndicats déposeront formellement leurs demandes la semaine même où le ministre des Finances, Raymond Bachand, fera le point sur l'état des finances publiques. On n'aurait pas pu imaginer un pire moment.

Les chiffres du ministre nous feront découvrir l'étendue des dégâts. Cela nous rappellera qu'il faudra soit augmenter les impôts, soit hausser les tarifs, soit réduire les dépenses pour réussir à progressivement ramener le déficit à zéro. Et c'est à ce moment que les centrales réclameront des hausses de 13,7% sur trois ans. Cela exigerait encore plus d'impôts, plus de tarifs, plus de coupes.

Quand on sait que les négociations de l'État avec ses employés sont essentiellement une bataille pour conquérir l'opinion publique, les centrales ont probablement perdu avant d'avoir commencé.

Ces demandes, insensées dans le contexte, reposent toutefois sur un argument valide, qui est un argument de justice et d'équité. Depuis un quart de siècle, le gouvernement a cherché à atteindre un équilibre entre la rémunération du secteur public et celle dans les grandes entreprises privées. En vertu de cette philosophie, l'État a été peu généreux pendant des années, parce que le public était mieux traité que le privé. Mais ce n'est plus le cas. Les employés du public accusent maintenant un retard. Ils veulent donc, au nom des mêmes règles du jeu, un rattrapage.

L'argument est logique. On peut cependant lui apporter deux réponses. La première, c'est le principe de réalité. La récession est venue tout bousculer. Il y a une véritable crise des finances publiques. Ce choc est, en soi, assez important pour que l'on change les règles du jeu, même si cela semble injuste pour les employés de l'État.

La seconde réponse repose sur des considérations d'équité. La récession a révélé à quel point les comparaisons classiques entre employés du public et du privé sont incomplètes. Quand on tient compte de tous les éléments, le sort des employés du privé devient beaucoup moins enviable et l'argument du rattrapage devient difficile à défendre.

Le premier facteur dont il faut tenir compte, c'est la sécurité d'emploi. Il est vrai que beaucoup de travailleurs du public n'ont plus la sécurité mur à mur d'antan. Mais ils ont été épargnés par ce qui a frappé les employés du privé: les 56 000 pertes d'emploi au Québec pendant la récession. Et toutes les autres que les statistiques ne révèlent pas, parce que les travailleurs mis à pied ont dû trouver un autre emploi, souvent moins intéressant. Et tous ceux qui ont accepté des baisses de salaire pour que leur entreprise traverse la récession. Ça fait beaucoup de monde. Il faut ajouter tous ceux qui ont eu peur, pendant des mois, de perdre leur job. L'année a été dure pour des centaines de milliers de personnes. Et cela a épargné le secteur public. Combien ça vaut?

L'autre grande différence, ce sont les caisses de retraite. Un grand nombre d'employés du privé verront leurs conditions de retraite se détériorer, soit parce qu'ils sont jeunes et n'auront pas les avantages de leurs aînés, soit parce que leur régime à cotisations déterminées sera moins généreux, soit parce que les déboires de leur régime à prestations déterminées affectent leur employeur. Ça n'arrivera pas dans le public.

Ces deux éléments à eux seuls devraient suffire à comprendre pourquoi les demandes du front commun sont gênantes. Pas seulement pour des raisons financières, mais aussi au nom de la justice et de l'équité.