Alors que les économies américaine et européenne en arrachent encore, beaucoup s'inquiètent du fait qu'elles traverseraient une «décennie perdue» à la japonaise. Malheureusement, les débats se sont trop focalisés sur ce que les gouvernements peuvent faire pour stimuler la demande par des déficits budgétaires et une politique monétaire. Ce sont des problèmes majeurs à court terme, mais ainsi que le savent tous les économistes, c'est l'amélioration de la productivité qui porte principalement la croissance économique à long terme.

Il n'y a aucun doute sur le fait que la crise financière japonaise massive de 1992 fut un vrai coup de massue, dont le pays ne s'est pas encore relevé, et les parallèles avec les États-Unis et l'Europe sont aujourd'hui inquiétants. Ces deux économies se préparent à une longue période de croissance lente du crédit, compte tenu à la fois de la nécessité d'une régulation financière plus stricte et du lourd surendettement de leurs économies. Le rétablissement ne sera pas simple.

Pourtant, la chute du Japon n'était pas seulement due à la crise financière. Le Japon avait aussi souffert de plusieurs chocs de productivité, davantage liés à ses problèmes à long terme. Le Japon n'aurait-il jamais connu de bulles de l'immobilier et des marchés boursiers, l'ascension fulgurante de son géant de voisin, la Chine, aurait tout de même représenté un énorme défi. De plus, sans crise financière, le Japon aurait tout de même été frappé par une situation démographique défavorable, compte tenu du vieillissement et de la baisse de sa population.

Enfin, les années d'hypercroissance du Japon étaient bâties sur un taux d'investissement phénoménal. Mais, dans la mesure où la productivité doit en fin de compte se construire sur l'innovation, et pas seulement en construisant toujours plus de bâtiments et d'équipements, il était inévitable que les retours sur investissement diminuent à un moment ou à un autre.

La grande dépression américaine des années 30 est un autre cas exemplaire. En élargissant le rôle de l'État d'une manière souvent chaotique et imprévisible, les mesures économiques du New Deal ont probablement posé, du moins temporairement, un frein à la croissance de la productivité.

Aujourd'hui, les États-Unis semblent évoluer vers un État de plus en plus de style européen, avec une fiscalité plus forte et possiblement une plus grande régulation. Mais si les États-Unis connaissent une croissance lente dans la décennie à venir, peut-on uniquement blâmer la crise financière? La toute dernière crise existentielle de l'Europe crée encore énormément d'incertitude et d'imprévisibilité politiques. S'il y a des effets négatifs sur la croissance dans la prochaine décennie, ils ne peuvent tous être reprochés à la crise financière.

À court terme, il est important que la politique monétaire aux États-Unis et en Europe combatte la déflation de style japonais, qui ne ferait qu'exacerber le problème de la dette en faisant baisser les revenus par rapport aux dettes. Il serait bien mieux d'avoir deux ou trois ans d'une inflation modérément

élevée, pour réduire l'ensemble des dettes, surtout si les systèmes politiques, juridiques et de régulation demeurent trop paralysés pour réaliser les réductions nécessaires.

Avec des marchés du crédit mis à mal, des mesures quantitatives supplémentaires pourraient encore s'avérer nécessaires. Pour ce qui est de la politique budgétaire, elle est déjà sur la bonne voie et nécessite un resserrement graduel sur plusieurs années, à moins que les niveaux de dettes déjà inquiétants ne se détériorent plus rapidement. Ceux qui croient que nous avons besoin d'encore plus de relance budgétaire keynésienne, et que nous devrions ignorer la dette publique me semblent être en pleine panique.

Il est cependant important d'essayer de préserver le dynamisme dans les économies américaine et européenne par des mesures de stimulation de la productivité en étant par exemple vigilant sur la politique antitrust, et en rationalisant et en simplifiant les systèmes d'imposition.

En fin de compte, les responsables politiques ne doivent pas oublier que les chances des États-Unis et de l'Europe d'éviter une «décennie perdue» dépendront de leur capacité à entretenir la vitalité productive de leurs économies, pas seulement par des mesures de stimulation de la demande à court terme.

Copyright : Project Syndicate, 2010. (www.project-syndicate.org)