La prorogation du Parlement aurait-elle eu son effet ? Ce mot que la plupart des Canadiens ignoraient complètement il y a deux mois aurait-il suffi à faire descendre la cote des conservateurs en moins de deux mois ?

La prorogation du Parlement aurait-elle eu son effet ? Ce mot que la plupart des Canadiens ignoraient complètement il y a deux mois aurait-il suffi à faire descendre la cote des conservateurs en moins de deux mois ?

Un sondage Nanos/La Presse indique que les 10 points d'avance que détenaient les tories à la mi-décembre se sont volatilisés, et que les deux grands partis sont maintenant presque nez à nez dans les intentions de vote, les libéraux ayant rattrapé le parti de Stephen Harper. Si la tendance se maintient, les conservateurs perdraient la chance d'aller chercher une majorité de sièges et hériteraient d'un troisième gouvernement minoritaire.

Le président de la firme Nanos estime que c'est la décision de « fermer » le Parlement qui expliquerait en grande partie la chute du PC et la remontée des libéraux d'Ignatieff.

Je trouve que c'est un peu court comme explication. Je doute fort que la majorité des Canadiens ait envie de déchirer sa chemise parce que le Parlement siégera cet hiver une vingtaine de jours de moins que ce qui était prévu au calendrier prévu... Ce ne sont pas quelques séances de chamailleries de moins qui tueront la démocratie au Canada. Au final, de toute façon, la Chambre aura siégé autant de jours sous les mandats de Harper que sous ceux de Jean Chrétien.

Ce qui a joué davantage que la prorogation comme telle, me semble-t-il, c'est plutôt la détermination et la vigueur affichée par Michael Ignatieff. Indépendamment de l'objet du scandale, il a eu l'air de reprendre du poil de la bête, et cela a effacé sa gaffe de l'automne, quand il avait menacé avec des accents mélodramatiques de déclencher des élections dont personne ne voulait. En même temps, tout ce tintouin autour de la prorogation a pu renforcer l'image autoritaire et manipulatrice d'un premier ministre qui paraît obsédé par la stratégie partisane davantage que par le bien commun.

Preuve que la prorogation n'a pas tellement remué les esprits, un autre récent sondage, réalisé celui-là par CROP uniquement au Québec, quelques jours seulement avant le sondage Nanos, montrait que le taux de satisfaction envers le gouvernement Harper n'a pas baissé, et que les libéraux d'Ignatieff n'ont fait aucun progrès.

Ces derniers restent à 24 %... comme sous le leadership de Stéphane Dion. Les trois points d'avance qu'ils détiennent sur les conservateurs au Québec sont des chiffres trompeurs, dans la mesure où les appuis libéraux sont démesurément concentrés dans les comtés anglophones de Montréal. Le Bloc garde dans l'ensemble la faveur de la majorité francophone, sauf dans la grande région de Québec, où les conservateurs ont 33 % des appuis, une dizaine de points devant le PLC.

Il se peut que les électeurs des autres provinces aient été plus sensibles à la prorogation du Parlement que les Québécois. Ou qu'une certaine lassitude à l'endroit de la politique se soit installée dans une population distraite par les Jeux olympiques. Car en fait, les scandales dont l'opposition fait son blé depuis des semaines (le cas Khadr et l'affaire des détenus afghans) n'ont pas de quoi susciter beaucoup d'indignation populaire, même s'il s'agit de questions sur lesquelles le gouvernement se trouve moralement dans son tort.

Plus vraisemblablement, la fermeture temporaire du Parlement a plutôt aidé les partis d'opposition, dont les ténors, libérés de leurs obligations parlementaires, ont parcouru le pays et envahi les ondes de la radio et de la télé. Or, les politiciens sont toujours plus sympathiques en dehors de la Chambre des communes, où la confrontation donne immanquablement lieu à des scènes disgracieuses dont aucun parti ne sort indemne.