Un an après la faillite de Lehman Brothers, serions-nous revenus à la case départ? Bien avant que ne croulent des piliers du marché financier américain, les investisseurs cherchaient déjà frénétiquement une alternative au dollar, poussant ainsi le cours de l'euro, mais encore plus celui du dollar canadien à des sommets pratiquement inégalés. Pour le dollar canadien comme pour l'euro, il semble aujourd'hui que la crise financière et la récession mondiale qui s'en est suivie n'aient constitué qu'un bref moment de répit.

La politique monétaire expansionniste de la Réserve fédérale américaine consécutive à la panique financière de 2008 a provoqué une augmentation spectaculaire de la demande pour les bons du Trésor, impliquant une chute drastique de leur rendement et une forte remontée parallèle des cours de la Bourse. Une fois les taux d'intérêt ramenés à zéro, il n'y a plus d'autre trajectoire qu'une hausse éventuelle qui sera dommageable tout autant aux bons du Trésor qu'à la Bourse. La politique monétaire américaine ayant été beaucoup plus expansionniste qu'ailleurs, il est normal que les investisseurs prennent leurs profits et diversifient leurs actifs ailleurs dans le monde. Cela explique en partie le retour à la case départ.

 

Une nouvelle partie va maintenant commencer. À ce jeu, le pronostic n'est pas nécessairement positif pour le dollar américain, surtout à long terme. La spirale de la dette américaine commence à ressembler dangereusement à celle vécue par le Canada de 1985 à 1995. Des taux d'intérêt croissants s'appliqueront à une dette croissante alors que la classe politique aura les plus grandes difficultés à prendre les décisions qui s'imposent.

Les créanciers des États-Unis, aux premiers rangs desquels figure la Chine, ont commencé à prendre note. Ni la Chine, ni les États-Unis, ni même l'Europe ou le Canada n'ont cependant avantage à ce qu'une «vente de feu» vienne plomber le dollar américain au point où toute reprise durable de l'économie mondiale ne soit possible. L'Europe pourrait-elle vivre avec un euro à plus de 2$US et qu'arriverait-il au Canada si le dollar canadien devait un jour atteindre les 1,30$US?

C'est pourquoi les Canadiens feraient bien de s'intéresser davantage à une idée chinoise avancée au printemps dernier. Le temps est peut-être venu de mettre de l'ordre dans le système financier international et de trouver une solution de rechange dépolitisée au dollar. Par alternative dépolitisée, les Chinois entendent le remplacement graduel du dollar américain comme monnaie de référence dans les transactions internationales par un panier incluant plusieurs devises.

En pratique, cela passerait par l'élargissement de la définition actuelle du Droit de tirage spécial (DTS), un panier de monnaies créé par le FMI en 1969. Au panier actuel incluant le dollar, l'euro, le yen et la livre sterling, il conviendrait d'ajouter le yuan chinois mais aussi le real brésilien et même les dollars canadien et australien. Les grandes banques centrales échangeraient alors leurs avoirs de réserve, actuellement détenus majoritairement en dollars américains, contre ces DTS, auprès du FMI.

Le FMI serait en outre investi de nouveaux pouvoirs lui permettant d'offrir aux banques centrales des États membres les services typiques d'une banque centrale fédérée, y compris le pouvoir de créer de la liquidité. Il faudrait bien sûr revoir la structure décisionnelle actuelle au sein du FMI afin de tenir compte de l'importance dans l'économie mondiale devenue capitale des pays émergents, la Chine en tête.

S'agit-il là d'une idée utopique? Les obstacles techniques ne manquent pas et la volonté politique a sans doute encore besoin de vivre au moins une nouvelle crise. Mais si un jour devait finalement avoir lieu la «vente de feu» tant appréhendée du dollar américain, nous reviendrons sans doute à une version revue et corrigée du plan chinois. À moins que nous ne souhaitions nous enfoncer dans le protectionnisme et le chacun pour soi nationaliste...