Ma réponse à la question posée en titre est: oui, il faut les croire, pourvu qu'on les sache honnêtes, compétents et indépendants. Cela soulève deux autres questions: 1) comment identifier ces bons économistes; et 2) pourquoi on ne les croit pas même si on sait qu'ils sont bons.

Je tiens de mon père les réponses à ces questions. Modeste médecin de famille, il lisait avidement les revues médicales comme L'Union médicale du Canada et The Lancet. Dès la fin des années 50, il avait appris des plus grands chercheurs que la cigarette causait le cancer du poumon et que les aliments gras entraînaient l'athérosclérose. Il arrêta de fumer et se mit à boire du lait en poudre dilué dans l'eau. Il essaya de convaincre ses patients d'abandonner la cigarette et ses enfants de boire son lait aqueux. Bien évidemment, sans succès. Nous appelions son lait, le «sapin», étant justement convaincus qu'il essayait de nous en passer un.

Notre père a malheureusement souffert de sclérose en plaques pendant 50 ans. Pour comprendre son mal, plutôt que de se fier à L'Almanach du peuple, il alla voir les éminents chercheurs Wilder Penfield et Roy Swank à l'Institut neurologique de Montréal. Il combattit, également sans succès, les remèdes de charlatans qui exploitaient sans vergogne la vulnérabilité et la crédulité des personnes atteintes de cette terrible maladie.

J'en ai appris deux leçons. La première, c'est que les bons économistes, comme les bons médecins, on les trouve parmi les grands chercheurs indépendants. Est-ce qu'ils ont su diagnostiquer la bulle immobilière américaine des années 2000 et prévoir son éclatement? Oui, à peu près tous. Des maisons qui se vendaient à trois fois la valeur capitalisée des loyers qu'elles pouvaient obtenir sur le marché, ça n'avait tout simplement pas de bon sens. Qui sont ces chercheurs? Des gens comme Akerlof, Beaudry, Blanchard, DeLong, Krugman, Shiller, Stiglitz, Buiter. Ils sont à Berkeley, à UBC, au MIT, à Princeton, à Yale, à Columbia, au London School.

Plus près de nous, au Québec, tous les économistes en chef de nos grandes institutions financières ont fait état de leur vive appréhension au sujet du marché immobilier américain dans les conférences qu'ils ont présentées à des centaines d'auditoires à partir de 2004.

Ce sont aussi les «bons économistes» américains qui ont aidé à payer les pots cassés après que l'administration Bush ait laissé la faillite de Lehman Brothers se produire et déclencher un effet de domino mondial l'automne dernier. (Je vous concède ici que l'ampleur de la contagion a été universellement sous-estimée.) Trois des meilleurs entourent le président Obama. Ils ont formulé le plan de relance économique qui commence aujourd'hui à porter ses fruits aux États-Unis. Ils s'appellent Bernanke, Romer et Summers. Ils viennent de Princeton, de Berkeley et de Harvard.

La seconde leçon apprise de mon père est qu'ici ou ailleurs les bons économistes, comme les bons médecins, ne sont pas nécessairement écoutés. Quand tout le monde faisait de l'argent avec le système financier il y a trois ans, les «casseux de veillée» n'étaient pas très populaires. Ces «prophètes de malheur» ont été tournés en ridicule pour ne pas comprendre que «les lois de l'économie ne sont plus les mêmes». L'économiste français Maurice Allais, Prix Nobel de science économique 1988, a diagnostiqué le mal sans détour: «Les gens sont menés par leurs intérêts, leurs préjugés, leurs passions et la logique, fût-elle scientifique, a réellement peu de prise sur ce qu'ils font.»

Dans toute cette foire, les médias peuvent jouer un rôle fondamental. Aider les gens à identifier les intervenants honnêtes, compétents et indépendants. Démasquer la fourberie, l'ignorance et les conflits d'intérêts. Donner préséance au vrai sur le spectaculaire. À observer présentement au Québec l'incroyable naïveté de tous ceux qui confient leurs épargnes au premier venu (qui est parfois un bandit, n'est-ce pas?), on m'accordera que la bataille de l'éducation économique est encore loin d'être gagnée chez nous.