J'en ai la tête qui tourne. Nul secteur n'est davantage soumis aux rumeurs, aux emballements et aux déceptions coûteuses que l'exploitation gazière et pétrolière. Pour preuve, en juillet le baril de pétrole sur les marchés à terme a atteint 147$US et aujourd'hui il s'échange pour 60$US. L'exploration pétrolière et gazière a connu ces dernières années au Québec un modeste regain d'activité. Au cours de l'été, la presse a rapporté la découverte d'un gisement gazier «prometteur». Depuis, la machine s'est emballée, la spéculation a frappé l'imaginaire de la politique provinciale. Nous flottons dans l'air chaud de la fabulation.

Un pays à creuser

L'expérience géologique permet de supposer qu'il existe des quantités exploitables d'hydrocarbures (pétrole et gaz) dans l'axe du Saint-Laurent, de la frontière ontarienne jusqu'au Labrador, en passant par votre jardin, soit 220 000 km2. La région correspond à la superficie du Minnesota. Depuis 1859, date du premier forage en Gaspésie, sur un total de 300 puits, on a extrait 1065 barils de l'un et un autre, en exploitation, fournirait 40 barils par jour. On a aussi trouvé du gaz (Pointe-du-Lac, Saint-Flavien) dont la production a été interrompue.

 

Les nouvelles technologies ont stimulé l'exploitation des shales gas. Enfermé dans des schistes, le gaz est stocké dans une séquence de roche à grains fins. Pour l'en déloger, il faut, après avoir fracturé la roche, injecter beaucoup d'eau mêlée à du sable et à des solvants chimiques. Dans les schistes de Barnett, au Texas, il y aurait plus de 6000 puits producteurs de gaz naturel. La formation des basses terres du Saint-Laurent, dénommée schistes Utica et Lorraine, se trouve dans le prolongement des bassins américains; d'où le frisson spéculatif des derniers mois.

Dérive politique

L'exagération partisane n'a pas tardé dès que la fièvre du pétrole a gagné cet été le monde politique local. La spéculation politique s'enfle quand l'exploitation souhaitée du pétrole (dont l'existence n'est pas démontrée) est travestie, pour les besoins du débat par les dirigeants du Parti québécois, en enjeu d'autonomie énergétique et de souveraineté. Le premier ministre du Québec aurait été négligeant. Il se devait d'exiger des autorités fédérales l'autorisation pour explorer le pétrole qui se trouverait dans la «réserve» nommée Old Harry, au large des côtes des Îles-de-la-Madeleine, ainsi que l'octroi d'un taux de redevances équivalentes à celui obtenu par Terre-Neuve. On atteint vite la démesure quand le discours devient dénonciation. Ainsi, la négligence du gouvernement actuel priverait le Québec de revenus potentiels de l'ordre de 50 milliards de dollars en redevances sur cinq ans (ce montant avancé par Mme Marois en juin a été ramené en août à 20 milliards sur 10 ans). Il est clair que l'heure est venue de nationaliser à la Norvégienne, les éventuels hydrocarbures québécois. Tout ce délire avant même que le premier puits n'ait été foré.

Perrette sur sa tête ayant un pot au lait...

L'auteur est professeur, directeur du département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM.ca).