Beaucoup de choses se sont écrites et dites au sujet du projet de la rivière Romaine et des audiences publiques qui débutent cette semaine à Havre-Saint-Pierre et seulement à Havre-Saint-Pierre. J'aimerais rappeler ici certains faits et corriger certaines impressions.

Les coûts estimés par Hydro-Québec pour la construction de quatre ouvrages hydroélectriques sur la rivière Romaine atteindront au bas mot 6, 5 milliards de dollars, et ces coûts ne comprennent pas la construction d'une nouvelle ligne de transport de 500 kilomètres ainsi que les coûts de raccordement au réseau (estimés entre 1 et 1,5 milliard de dollars). Hydro-Québec est une société d'état qui devra emprunter pour réaliser ce projet et le financer à même des exportations aux États-Unis. Ces exportations sont loin d'être garanties dans le contexte actuel et face à une volonté affirmée, outre frontière, de moins dépendre des importations d'énergie. On vend actuellement sur le marché américain notre électricité à seulement 6,8 cents du kw/heure (Journal Les Affaires, .édition du 15 février 2008) alors que le coût marginal du projet Romaine est estimé à 10 cents du kw/heure. (Bélanger, Bernard, avril 2008).

Ce seul point de la justification et du fardeau financier qui reposera ultimement sur le dos de tous les Québécois devrait suffire à faire comprendre l'importance d'un examen public des impacts du projet ouvert et accessible aux groupes et citoyens qui ne résident pas dans la région immédiate de Havre Saint-Pierre.

Treize des seize plus longues rivières du Québec sont harnachées et on connaît encore mal l'impact cumulatif de cet endiguement sur la production des écosystèmes aux embouchures (sur le Saint-Laurent notamment). On constate cependant que le Saint-Laurent est malade. Enlever à ce « malade » une autre rivière qui le nourrit est un élément qui mérite d'être débattu. Ces rivières font partie d'un patrimoine naturel qui appartient à tous les Québécois, à ceux de la région de Havre-Saint-Pierre bien sûr mais également à l'ensemble des Québécoises et des Québécois, lesquels devraient pouvoir en débattre dans un processus d'audiences ouvert et transparent.

L'omble de fontaine (la truite mouchetée) disparaîtra de la rivière Romaine. On y ennoiera un territoire de 250 kilomètres carrés incluant de magnifiques forêts surannées (cela me fait un peu rire quand Hydro nous invite à sauver un arbre en nous abonnant à la facturation électronique). 12,6 kilomètres de rivières seront court-circuités et pratiquement asséchés (zéro débit réservé ! dans le cas du premier barrage). On y transformera un écosystème fonctionnel de rivière en un système lacustre de mauvaise qualité. Alors que le Québec bénéficie d'un surplus énergétique et qu'il possède un potentiel éolien générateur d'emplois encore sous-exploité, tous les Québécois sont en droit d'interroger directement le promoteur et de demander si la peine emporte le profit. Et nous ne parlons même du potentiel d'économie d'énergie techniquement et économiquement réalisable, lequel est énorme.

 

Pourquoi le BAPE n'élargit-il pas l'accessibilité de l'examen public ?

Soyons clairs. Ce n'est pas pour une question d'argent ou de manque de ressources (bien qu'elles soient infiniment inférieures à celles du promoteur) si Nature Québec ne participe pas à la première partie des audiences publiques à Havre-Saint-Pierre. C'est par principe, parce qu'il croit que les impacts de ce projet dépassent largement la région de production et que ce sont tous les Québécois qui vivront avec les impacts et les retombées du projet, qu'ils soient positifs ou négatifs. Ce n'est que normal qu'ils aient la possibilité de se faire entendre de questionner directement les commissaires et le promoteur sans devoir parcourir des centaines de kilomètres de routes.

De plus, Nature Québec ne croit pas que le climat soit idéal pour débattre sereinement du projet lors des audiences de Havre-Saint-Pierre. Ce climat n'est pas la responsabilité des gens de Havre-Saint-Pierre, qui sont des gens accueillants et chaleureux de nature, mais bien celle du promoteur qui s'est empressé de signer des ententes financières avec les communautés avant le début de l'examen public, faussant ainsi le débat démocratique. Le contenu de ces ententes est secret. On en connaît que la valeur financière globale qui est estimée à 100 millions de dollars pour ce qui est de la MRC et à 57,5 millions pour trois des quatre communautés innus qui se sont entendues avec le promoteur. Le versement de ces sommes est lié à la réalisation du projet. On comprendra facilement qu'il est plus difficile de contester la légitimité et les impacts de ce projet dans une communauté aussi directement liée à la réalisation du projet. Et c'est normal.

Le Bape, dans ce contexte, aurait dû organiser physiquement des audiences à au moins deux endroits (Havre-Saint-Pierre et Québec par exemple) ou, à tout le moins, organiser des vidéoconférences interactives pour permettre aux requérants (dont Nature Québec), aux organismes et aux citoyens de participer activement et sereinement au débat public. Il l'a fait en 1993 avec le projet de la Sainte-Marguerite en télévisant les débats et en permettant les interventions par téléphone, alors que les nouvelles technologies de l'information étaient très peu développées.

Il pourrait facilement le faire en 2008. C'est une question d'accessibilité, de justice élémentaire et de gros bon sens. En ne le faisant pas, le Bape, ce merveilleux outil de débat démocratique qui fête cette année ses 30 ans, met sa crédibilité et son indépendance en jeu. Pour Nature Québec, qui a toujours défendu cette institution, c'est éminemment triste.