Barack Obama se dirige tranquillement vers la présidence américaine. Sa victoire n'aura rien à voir avec la crise économique, mais bien avec la personnalité du candidat, le travail acharné du Parti démocrate depuis sa victoire aux élections de novembre 2006 et le profond dégoût ressenti par l'électorat envers le Parti républicain. En politique étrangère, son élection va changer l'atmosphère. Mais sa présidence sera-t-elle une totale rupture avec l'administration Bush? Rien n'est moins certain.

Le candidat démocrate est une véritable star mondiale. Cet été, il a reçu un accueil enthousiaste en Europe. Un grand sondage planétaire, publié il y a quelques semaines, le plébiscite massivement. Ses discours sont examinés et commentés par tous les experts, et chacun veut y voir son propre rêve de l'Amérique. Cela donne lieu à des commentaires qui tombent parfois dans une grande naïveté comme en témoigne une opinion publiée dans l'hebdomadaire Jeune Afrique, il y a deux semaines, et qui résume bien le sentiment général envers Barack Obama à l'étranger.

 

L'auteur, Lancine Camara, président de l'Union internationale des journalistes africains, ne tarit par d'éloges envers Obama. Il présente le sénateur démocrate comme l'incarnation d'un nouvel humanisme américain au service du monde. Pour l'auteur, la meilleure façon d'éviter la guerre et de préserver le monde du chaos, «c'est de soutenir Barack Obama et d'encourager sa vision d'un monde multipolaire dont le fonctionnement serait fondé, autant que possible, sur la concertation et le respect mutuel».

Cette opinion est fréquente dans la presse étrangère. Elle est soutenue par une lecture partielle des discours du candidat et alimentée par ses partisans. Le dernier d'entre eux, Colin Powell, ancien secrétaire d'État, a renforcé cette impression lorsqu'il a dit qu'une présidence Obama «provoquerait l'enthousiasme du pays et du monde». Et ce n'est pas faux, compte tenu de l'incroyable révulsion qu'inspire l'administration Bush.

Pourtant, il faut revenir sur terre et voir le prochain président pour ce qu'il sera: le chef d'une superpuissance. Ce statut induit un certain nombre de comportements, comme l'arrogance envers les autres États et les mesures unilatéralistes. On peut d'ailleurs discerner ces traits de comportement dans les discours du candidat et chez les conseillers qui l'entourent.

Tradition politique américaine

Barack Obama s'inscrit dans la grande tradition politique américaine qui place les États-Unis au centre du monde et au coeur d'un système d'alliances militaires et politiques érigé pour leur bénéfice. Jamais, à ma connaissance, le candidat démocrate n'a reconnu le caractère multipolaire du monde actuel et il ne l'appelle pas de ses voeux. Il parle, au contraire, du rôle prépondérant de son pays, de son désir de réaffirmer son rôle de leader grâce, oui à la concertation, mais aussi à l'augmentation du budget militaire. Jamais, enfin, Barack Obama n'a écarté l'option d'agir seul si la sécurité des États-Unis était menacée.

Du côté de ses conseillers, si ceux-ci démontrent une connaissance du monde et une sophistication diplomatique rares chez le clan Bush, ils proviennent, pour les plus importants d'entre eux, de l'ancienne administration de Bill Clinton où on voyait les États-Unis comme la nation indispensable. Il arrive aussi à certains conseillers d'Obama de promouvoir des idées, comme cette stupide Ligue des démocraties, dont les conséquences premières seraient de diviser le monde et de placer encore une fois les États-Unis en position de domination alors que de nouveaux centres de pouvoir émergent et revendiquent une place au soleil.

Ne boudons pas notre plaisir. Sur bien des aspects, Obama répond aux aspirations profondes des Américains et du monde. Sa répudiation de la torture, sa volonté de discuter et de négocier même avec les ennemis des États-Unis, son souci envers le développement des pays du Sud, son intérêt pour le multilatéralisme et le renforcement de l'ONU ont de quoi séduire. Et rien n'indique qu'il oubliera tout cela le jour où il deviendra président. Cependant, Barack Obama n'est pas le président du monde, mais bien des États-Unis. Son premier devoir n'est pas de plaire aux Africains ou aux Canadiens, mais d'assurer la sécurité et la prospérité des Américains. Il faut tout simplement espérer que cela ne se fera plus au détriment des autres.

L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, affilié au CERIUM. (j.coulon@cerium.ca)