L'Histoire a une fâcheuse tendance à se répéter, comme l'ont noté des escadrons d'observateurs au fil des siècles... L'agitation sociale en Bolivie, qui a fait au cours des derniers jours plusieurs dizaines de morts, s'inscrit ainsi dans un contexte régional dont certains aspects rappellent douloureusement la Guerre froide. Mais elle est composée aussi d'éléments uniques, qui permettent de croire que l'Amérique latine tend à devenir davantage maître de son sort.

Les troubles opposent des instances régionales boliviennes au président du pays, Evo Morales, qui propose un plan de redistribution des revenus tirés des richesses naturelles, surtout le gaz, ainsi qu'une réforme agraire. Le conflit a un aspect ethnique: les régions de l'est opposées à ces réformes sont largement blanches et relativement riches; comme Morales lui-même, ceux qui appuient cette réforme sont autochtones. Il y a eu des affrontements armés; le gouverneur de la région de Pando, Leopoldo Fernandez, a été incarcéré.

 

À travers tout cela, Morales a expulsé de La Paz l'ambassadeur américain, Philip S. Goldberg, qu'il a accusé de nourrir la rébellion. Par solidarité, le président vénézuélien et principal allié de Morales, Hugo Chavez, a fait de même avec Patrick Duddy, représentant des États-Unis à Caracas.

Enfin, Chavez a menacé d'intervenir militairement en Bolivie pour soutenir, si besoin était, le gouvernement de son ami - l'armée bolivienne a mis en garde le président vénézuélien contre une telle initiative.

*****

Tout cela semble tenir du bon vieux folklore latino-américain, fondé pendant des décennies sur la persistance de conflits sociaux insolubles sur fond de pauvreté, elle aussi sans remède. Sur la menace en uniforme. Ainsi que sur l'affrontement entre la diplomatie et les services secrets américains d'une part, cubains et soviétiques d'autre part.

Car, en parallèle, les Russes reviennent en force dans le décor. Le Venezuela et la Russie se sont en effet entendus sur une collaboration militaire (manoeuvres navales) et industrielle (usines d'armement). L'assistance russe a aussi été offerte à La Paz. Mais le message le plus spectaculaire de Moscou a consisté à faire atterrir, la semaine dernière, deux bombardiers Tupolev 160 à capacité nucléaire au Venezuela.

On ne peut s'empêcher de penser pendant une seconde à la crise des missiles de Cuba...

Mais, autour de la crise bolivienne, se passe ceci de nouveau que la violence a rapidement cessé. Et qu'une table de négociations a été promptement ouverte par l'Union des nations d'Amérique du Sud, une nouvelle entité créée en mai.

Ce processus, lui, n'a rien de folklorique: il est pragmatique à tous points de vue et est notamment mené par des chefs d'État identifiés à une gauche modérée, la Chilienne Michelle Bachelet et le Brésilien Lula da Silva (lequel voit son approvisionnement en gaz immédiatement menacé par l'agitation bolivienne).

En fait, l'électron libre dans ce dossier demeure Hugo Chavez, qui est évidemment membre de l'Union et dont la mission messianique, celle d'un Castro du XXIe siècle, pourrait brouiller les cartes - comme ça a été le cas en Colombie, par exemple.

mroy@lapresse.ca