Amorcée il y a 30 ans, la désinstitutionnalisation n'est pas pour tout le monde, estiment des médecins et des travailleurs sociaux: une partie des malades mentaux est incapable de fonctionner en société. Avec la disparition des institutions psychiatriques, certains n'ont nulle part où aller. Dans les hôpitaux, ils encombrent pendant des mois les lits destinés aux patients en crise. Des experts recommandent donc la création d'un centre d'hébergement en santé mentale. Êtes-vous d'accord avec cette conclusion?

 

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Guérir

Je suis une personne qui, il y a à peine 10 ans, a vécu avec un épisode intense de la maladie mentale.  Eh oui, j'ai occupé une bonne partie de l'urgence de l'hôpital de mon secteur à Québec. J'y allais, je revenais et, quelquefois, je me faisais opérer, car je m'automutilais très sévèrement. Puis, ce fut l'hospitalisation et un séjour en psychiatrie. En 2003, j'ai passé presque la moitié de l'année à faire l'aller-retour entre mon appartement (ma chambre plutôt) et l'hôpital. À l'époque, je ne travaillais pas, je vivais de l'aide sociale. Mais, huit ans plus tard, grâce aux organismes communautaires de mon secteur et à la patience de ma psychiatre, j'ai pu retrouver mon autonomie, ma dignité et je travaille. J'aide les personnes qui, comme moi, sont aux prises avec la maladie mentale et qui veulent faire partie de la société. Et qui vivent bien avec. Ça s'appelle le rétablissement. Ce n'est pas tout le monde qui peut suivre ce chemin, mais c'est le cas pour une grande partie. En revenant à des solutions comme l'institution, on risque de tomber dans des solutions faciles et abandonner les succès des dernières années et il y en a eu! Allons-nous abandonner le travail après tant d'efforts? Espérons que non!

Christian Dufour

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Quelquefois, c'est la solution

Le dossier de la désinstitutionnalisation est d'une grande complexité à mon sens. Tout d'abord, il appert que le problème majeur de tous les dossiers sociaux (par exemple, de santé ou d'éducation) est qu'ils sont encadrés par des normes plutôt rigides. Les situations humaines sont si variées qu'il faudrait pouvoir les évaluer avec souplesse, et ce n'est pas la qualité principale des structures législatives et administratives qui tendent toujours à faire rentrer tout le monde dans les rangs. Ensuite, dans ce dossier précis, il existe des gens qui auraient certainement besoin d'être encadrés, soignés et surveillés pour vivre. Cela, même s'ils certains d'entre eux ne veulent pas - ou ne peuvent pas - l'admettre (par exemple, une personne en phase de psychose peut difficilement s'autoévaluer correctement). Il y a, bien sûr, les - rares - malades violents, dont les proches, dépassés par la psychose, restent sans recours, tant que le malade ne se sera pas tranché les veines ou ne leur aura pas planté un couteau quelque part. Mais il y a surtout des gens incapables de bien fonctionner en société, pour cause de déficience, de maladie psychique envahissante, de personnalité limite, et qui se retrouvent dans un engrenage de misère et de problèmes (chômage, rejet, méfaits, itinérance, etc.). Faut-il pour autant enfermer à double tour ces personnes et jeter la clé à jamais? Mille fois non! J'estime qu'il faut continuer de travailler en réadaptation et en assistance ponctuelle. Toutefois, pour les rares cas où il serait clair pour l'équipe soignante (et cela devrait alors comporter plusieurs expertises différentes) que la personne malade a besoin d'une assistance continue, une telle ressource devrait exister. Cela, sous une forme intéressante, vivable et acceptable. En effet, entrer dans une institution ne devrait pas ressembler à une condamnation, puisque la maladie n'est pas un crime. Il faudrait poursuivre, le plus possible, la réadaptation de la personne, la réévaluer régulièrement, et s'assurer que des personnes extérieures à l'institution (famille, mais aussi soignants) ont accès à cette personne. Car, il ne faut pas oublier que les personnes en institution se retrouvent à la merci des soignants, avec ce que cela peut impliquer si lesdits soignants ont de mauvaises intentions (maltraitance, mépris, humiliation, agression, intimidation, voire une évaluation faussement mauvaise de l'état du patient pour prolonger indûment son internement). D'un autre côté, évidemment, que dire des risques encourus dans la rue, où se retrouvent de nombreux malades désinstitutionnalisés?   C'est pourquoi je suis d'accord avec un certain retour d'institutionnalisation (sous une forme nettement améliorée), car, vivre bien, tout seul n'est pas réalité pour tous et, au nom de cette autonomie si souhaitée et si souhaitable, plusieurs personnes souffrent actuellement sans secours.

Amélie Bronsard

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Aimez-les

Même, il y a 30 ans, j'étais exaspérée et tellement triste de savoir que nos malades mentaux, qui avaient déjà peu d'aide, en auraient encore moins. J'ai pleuré, je ne pouvais pas m'imaginer cette atrocité. Il faut beaucoup d'amour pour nos malades. Merci à ceux et celles dans notre système de santé, qui ont retrouvé raison. Posez cette question me semble d'un ridicule parfait. Devons-nous prendre soin de nos malades mentaux qu'on a tout simplement jetés à la rue? Et c'est aussi ça le Québec?

D. de Bellefeuille.

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Je suis contre...

Je suis contre parce que j'ai déjà été hospitalisée et que je prends régulièrement de la médication. Je travaille à nouveau et j'ai une vie de famille «ordinaire», mariée depuis plus de 20 ans avec deux enfants. Mon expérience: je suis fragile au stress. Il y a plusieurs années, j'ai vécu cinq difficultés dans la même période. J'ai eu la malchance d'être traitée par un psy qui n'était pas un psy. On m'a donné des antidépresseurs qui ne me convenaient vraiment pas. Résultat, plusieurs semaines hospitalisé en psychiatrie. Maintenant, je me connais et, de plus, j'ai la chance d'avoir un médecin de famille très à l'écoute. Il m'évite toute rechute. Je le vois au besoin: à la semaine, au mois, aux six mois. J'ai conscience de ma faiblesse et lui, il est expérimenté, disponible et organisé.

Je connais un couple aux prises avec des problèmes psychiatriques mal encadré: leur situation est difficile, leur appartement est dans un mauvais état. Ils vont régulièrement en institution - pour de courtes périodes - et leur famille est impuissante. Ils auraient besoin de plus d'aide.

Où est la limite entre l'aide imposée par les psys et le besoin du patient et de leur famille (bien manger, bien dormir et moins de médicaments)? Est-ce que ce ne serait pas le même problème que pour les personnes âgées? Peut-être qu'il manque tout simplement de l'écoute? Nous sommes plus longtemps dans les salles d'attente qu'avec l'intervenant.

Madeline Jeancolas

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Chasse aux sorcières contre les malades mentaux

Il serait vraiment dommage qu'à la suite de la dernière tuerie, on entreprenne une chasse aux sorcières contre les malades mentaux. Beaucoup sont vulnérables et certains de ceux-là se créent un personnage menaçant auquel ils veulent que les autres croient. C'est aussi vrai beaucoup de gens dits sains d'esprit, mais qui par ailleurs veulent cacher leurs faiblesses. Le duc de la Rochefoucault disait « la grossièreté est l'arme des faibles ». Et plusieurs malades mentaux sont à la fois influençables et considérés comme des déchets humains. C'est pourquoi certains individus mal intentionnés peuvent s'en servir pour accomplir leurs basses oeuvres, comme on se sert des enfants démunis en tant que soldats. Il faut donc parfois aller plus loin que l'individu dont le doigt appuie sur la gâchette pour trouver le véritable coupable. Et certaines organisations extrémistes recrutent leur chair à canon chez ces gens dont personne ne veut ailleurs en leur donnant un sentiment d'appartenance qu'ils ne retrouveront pas ailleurs. Malheureusement, l'appartenance en question s'apparente à celle d'un chien envers son maître. Le petit soldat devra suivre son général jusqu'à la mort, pendant que le général se retranche derrière son bouclier humain. On devrait au moins faire pour les malades mentaux ce que l'on fait pour les enfants soldats, c'est-à-dire tenter de les réintégrer à la société. Avant qu'ils aient du sang sur les mains, c'est plus facile. Et il faut que cette réintégration se fasse au cas par cas, parce que les capacités des malades mentaux sont encore plus variables que celles des autres, un peu comme c'est le cas pour les personnes âgées que l'on enferme sans distinction. Il ne faut pas présumer que quelqu'un est un malade mental parce qu'il est différent des autres, par altérophobie. La maladie mentale est loin d'être la seule cause d'exclusion. Il y en a bien d'autres, notamment les préjugés et la malveillance, et pas seulement contre les malades mentaux.

Jean-Victor Côté, Saint-Bruno