Des puits de pétrole aux pompes des stations-service, le débat énergétique est polarisé sur des rêves et des rationalités qui s'opposent. Malheureusement, ces pôles bien différents rendent le dialogue presque impossible, alors qu'il faudrait trouver des terrains d'entente pour avancer vers les solutions.

Commençons par les pompes. Si la rationalité triomphait, elles seraient de plus en plus délaissées : les consommateurs se rendraient compte que l'achat d'un petit véhicule ou qu'adopter un cocktail transport « transports en commun, transport actif et taxi ou covoiturage » est moins coûteux et moins contraignant. Mais le rêve triomphe, et malgré les incessantes complaintes sur le prix de l'essence, les ménages québécois (et canadiens, et mondiaux) choisissent de manière croissante des véhicules plus gros, plus chers, plus énergivores. 

L'industrie automobile a bien compris cette force du rêve : elle présente ses véhicules dans des paysages naturels grandioses, accomplissant des exploits dans une liberté absolue. Tout le contraire de la congestion sur les nids-de-poule dans laquelle nous baignons.

Mais cette réalité, et la rationalité, ne semble pas avoir d'emprise sur le rêve : le parc automobile grossit sans cesse.

À l'autre bout de la pompe, les puits de pétrole. Là encore s'affrontent un rêve et une rationalité bien différents. Dans l'imaginaire des opposants au pétrole, l'économie canadienne pourrait se retourner quasi instantanément sur elle-même et devenir « verte » en quelques années. En fermant les puits de pétrole, en interdisant son transport, nous réussirions la transition énergétique dont on parle de plus en plus. 

Une rationalité bien différente vient contrarier ce rêve : nos infrastructures, l'organisation de notre société, requièrent un approvisionnement permanent en produits pétroliers. Des occasions économiques existent à tous les maillons de la chaîne du pétrole. Les interdits pour les uns représentent des occasions pour les autres.

Non aux sables bitumineux de l'Alberta ? Pas de forage au Québec ? C'est l'Angola, le Nigeria, le Venezuela et l'Arabie saoudite qui vous remercient. Les pétroliers sont déjà sur les mers - pas besoin de nouveaux pipelines. Mais ni l'environnement ni les humains n'y gagnent.

L'HUMILITÉ DE SE REMETTRE EN QUESTION

La force des rêves, autant celui du véhicule individuel que d'un monde sans pétrole, l'emporte actuellement sur la rationalité. Celle-ci nous guiderait vers des infrastructures moins énergivores, des petites voitures, voire pas de voiture du tout pour certains, et une plus grande acceptation de certains projets. Ceux-ci seraient par ailleurs de moins en moins attrayants pour les investisseurs, parce que justement une transition énergétique s'amorcerait réellement. Les pompes étant délaissées, on creuserait moins de puits.

Comment faire en sorte que ces rêves et ces rationalités se rejoignent ? Comment passer d'un dialogue de sourds et d'une opposition stérile à une véritable transition, qui inclut autant les producteurs que les consommateurs ? La tâche n'est pas facile, tant les rêves sont puissants et la rationalité économique bien ancrée.

Il faut que tous aient l'humilité de se remettre en question, et l'ouverture d'envisager des solutions de rechange.

Les consommateurs doivent de leur côté accepter de moins s'endetter et de moins consommer d'essence, en se procurant moins de gros véhicules et en se logeant différemment. L'industrie pétrolière doit accélérer sa mutation en une industrie de services (mobilité, chaleur, etc.), pour ne plus être dépendante d'un produit en particulier, mais plutôt de besoins fondamentaux. Les gouvernements, et toute la classe politique, doivent de leur côté tenir un discours plus honnête à la population, et planifier en conséquence. 

Pour que les rêves et les rationalités s'accordent mieux, des changements sont nécessaires. Il faut préparer les esprits et développer les solutions de rechange. On pourra toujours rêver, mais plus aux dépens de la rationalité.

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