Pourquoi les militaires et les miliciens formés et financés par les Occidentaux en Irak, en Afghanistan et en Syrie semblent-ils incapables de tenir un front, de gagner une grande bataille ou de protéger les populations dont ils ont la responsabilité ? Ce mystère reste à éclaircir et prend un relief particulier au moment où la Russie s'engage physiquement sur le terrain au profit du gouvernement syrien.

Dans un reportage publié dimanche à la une, le New York Times trace le bilan des programmes de formation et d'équipement des alliés américains en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Depuis une quinzaine d'années, les États-Unis ont dépensé quelque 100 milliards de dollars pour équiper, former et offrir des consultations aux forces armées et policières en Irak et en Afghanistan et aux insurgés en Syrie. Tout indique, conclut le journal, que cela a été inutile

La présomption selon laquelle la formation et l'équipement de forces locales en lieu et place du déploiement de soldats occidentaux serait l'outil idéal afin de vaincre le dictateur en place en Syrie, les insurgés talibans en Afghanistan ou les terroristes du groupe État islamique en Irak se heurte aux réalités du terrain. Au cours de la dernière année, toute la stratégie occidentale à cet égard a encaissé de sérieux revers sur les champs de bataille.

Ainsi, en juin 2014, Mossoul, la deuxième ville d'Irak, est tombée aux mains du groupe État islamique sans que les forces armées irakiennes n'opposent la moindre résistance. Un an plus tard, une autre grande ville, Ramadi, a subi le même sort. Les forces irakiennes ont tout simplement fui. Il y a quelques semaines, Kunduz, la deuxième ville d'Afghanistan, est passée aux mains des talibans pendant quelques jours.

Devant cette situation, le secrétaire américain de la Défense Ashton Carter a réagi avec une étonnante franchise.

L'armée irakienne n'a « pas montré de volonté de se battre », a dit Ashton Carter. « Nous avons un problème avec la volonté des Irakiens de combattre l'EI et de se défendre. »

Le ministre américain n'est pas allé plus loin dans l'explication et l'article du New York Times demeure général sur les causes de cette étrange apathie. Tout au plus, ses sources y voient le résultat « d'un leadership déficient, d'un manque de volonté, et de la nécessité de fonctionner malgré une situation politique insoluble et l'absence de soutien ».

L'analyse est un peu courte. Il serait intéressant de l'enrichir grâce à un regard sociologique et même anthropologique afin de mieux comprendre le comportement de ces militaires. L'appui donné par les Occidentaux aux auxiliaires locaux dans les pays en développement depuis une soixantaine d'années fournit quantité d'enseignements. Ainsi, en Algérie, au Vietnam et en Afghanistan, sous les Français comme sous les Américains et les Soviétiques, les auxiliaires locaux ont été abandonnés et ont payé le prix fort après la victoire des forces ennemies.

La formation et l'équipement ne peuvent être réduits à une question de manuels d'instruction, de maniement des armes ou de cohésion d'une unité militaire. C'est la loyauté et la confiance qui unissent le formateur et l'auxiliaire et leur donnent la volonté de combattre. Or, ces qualités sont fragiles lorsque chacun connaît sa place sur l'échiquier. Le formateur est de passage, il finira par partir. L'auxiliaire doit faire face et interagir avec ses semblables. Son clan, sa religion, son village, son pays deviennent ses repères. Sa vision du monde, ses calculs politiques et sociaux sont complètement différents de ceux des Occidentaux.

Après 12 ans de présence en Irak, les Irakiens soupçonnent maintenant les Américains de financer et d'équiper l'EI, disait récemment un général américain. En Syrie, certains rebelles anti-Assad ont fourni des armes à des djihadistes.

Les Occidentaux connaissent maintenant les limites de la collaboration avec les auxiliaires locaux au Proche-Orient. Les Russes en Syrie frapperont le même mur.

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