La Chine inquiète, et ce n'est pas nouveau. Avant, on craignait d'être submergé par ses masses pauvres et barbares ; aujourd'hui, on redoute sa montée en puissance économique et militaire. Le « péril jaune » a de multiples incarnations.

Il y a quelques jours, Washington a demandé à Pékin de cesser de transformer des îlots dans les archipels des Spratleys et des Paracels en ports et en infrastructures aériennes. La souveraineté sur ces îles de la mer de Chine est revendiquée par Pékin ainsi que par le Viêtnam, les Philippines, la Malaisie et Taïwan. L'avertissement s'adressait aussi à eux. Mais, on l'aura bien compris, c'est la Chine qui est dans le viseur.

Le coup de semonce de Washington n'a rien de surprenant. Depuis la fin des années 90, une déplorable atmosphère anti-chinoise s'est installée aux États-Unis. Le 11 septembre 2001 l'avait fait oublier, la menace d'Al-Qaïda prenant le devant de la scène. La méfiance est revenue, et pas un jour ne passe sans que la « menace » chinoise vienne agiter le débat géopolitique.

PUISSANCE « IRRESPONSABLE » ?

À en croire les revues américaines de politique internationale, la Chine est un pays fragile sur le plan interne et en passe de devenir une puissance « irresponsable » sur le plan international. Ainsi, dans son édition de mars-avril, le bimensuel The American Interest affirme que la campagne anticorruption du gouvernement envers l'armée pourrait mener à un coup d'État militaire. Pour sa part, Foreign Affairs, dans sa livraison de mai-juin, consacre sept articles aux questions intérieures chinoises. Le constat est franchement pessimiste. Enfin, quatre articles de l'édition d'hiver 2015 du trimestriel The Washington Quarterly abordent la place de la Chine dans le monde. Si les contributions sont équilibrées, une trame se dégage : la Chine a-t-elle l'ambition de bouleverser l'ordre international - lisez l'ordre américain instauré après 1945 -, ou d'y adhérer ?

À cette question, le Wall Street Journal répond sans nuance. Samedi, dans un éditorial aux relents racistes intitulé « Kaiser Xi's Navy » (La marine du Kaiser Xi), le quotidien décrit la montée en puissance de la marine chinoise comme une entreprise « agressive » et « mortelle ». Il n'hésite pas à comparer le président chinois à l'empereur allemand dont les ambitions navales furent en 1914 une des causes de la Première Guerre mondiale. Heureusement, écrit le journal, la marine américaine domine encore pour quelque temps le Pacifique, et les marins chinois ne sont pas « impressionnants ».

La Chine est devenue une grande puissance. Comme toutes les grandes puissances, elle veut assurer ses assises et sa pérennité. Elle cherche à écrire ou à réécrire les règles de l'ordre international existant. D'où, par exemple, la création en avril de la Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures, concurrente de la Banque mondiale dominée par les États-Unis.

Par contre, remettre en cause certaines règles de l'ordre international ne signifie pas sa destruction. La Chine est plutôt bon élève depuis 30 ans et ses différends territoriaux avec ses voisins n'ont pas eu les effets désastreux de l'invasion de l'Irak par les États-Unis. Du moins pas encore.

Comment expliquer alors ce dénigrement systématique de la Chine auquel nous assistons ?

Peut-être faut-il se tourner vers la littérature qui a tant façonné notre regard sur la Chine depuis au moins un siècle. L'écrivain britannique Christopher Frayling nous y invite dans The Yellow Peril : Dr Fu Manchu & The Rise of Chinaphobia, publié l'an dernier. L'auteur y trace les origines intellectuelles de la sinophobie à travers l'analyse des aventures de Fu Manchu publiées en Grande-Bretagne au début du XXe siècle et qui ont connu un succès mondial.

Les stéréotypes véhiculés dans cette série ont la vie dure et les histoires sur la « perfidie » et l'« agressivité » des Chinois continuent à remplir nos médias et notre imaginaire. Il serait temps d'en sortir et de cesser de caricaturer ce pays.

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