J'admets aisément que la Révolution tranquille prête flanc à plusieurs critiques dont je pourrais parler longuement, en les endossant.

Mais il arrive souvent aussi qu'on lui fasse un faux procès, comme c'est le cas du chanoine Jacques Grand'Maison dans son dernier livre, Ces valeurs dont on parle si peu. Essai sur l'état des moeurs au Québec (Carte blanche). Cet ouvrage présente une argumentation trop répandue, que je crois déficiente au moins sur trois points.

Une vision idéalisée de la Révolution tranquille

La première erreur est de juger la Révolution tranquille sur la base non pas de ce qu'elle a fait mais de ce qu'elle avait rêvé de faire. C'est oublier que, comme il arrive dans toute société en changement, les acteurs des années 60 s'étaient donné des utopies. Ils avaient rêvé d'égalité sociale, de démocratisation, de modernité, de laïcité, d'éducation, le tout dans un esprit d'affirmation et de redressement collectif. À ces rêves-là, plusieurs ont ensuite annexé l'idée d'un Québec autonome et social-démocrate.

D'importantes avancées ont été effectuées dans toutes ces directions mais, sans surprise, aucun rêve n'a été entièrement réalisé. Sociologiquement, il est injuste d'exiger de cette génération ce qu'aucune société n'est parvenue à faire dans les mêmes circonstances.

Une vision catastrophique

Il est tout aussi erroné d'affirmer que la Révolution tranquille a détruit les valeurs qui soutenaient notre société et qu'elle s'est montrée inapte à les remplacer. Il en aurait résulté chez les jeunes d'aujourd'hui un grand vide symbolique, un déficit d'idéal qui serait même la cause de certains désordres.

En réalité, la Révolution tranquille a affirmé comme jamais les valeurs fondamentales de notre société (égalité, justice sociale, démocratie, émancipation collective...) alors que les élites précédentes en avaient surtout empêché l'expression. Faut-il rappeler l'opposition tenace du haut clergé à l'instruction obligatoire (jusqu'à l'âge de 14 ans), sa méfiance envers la démocratie, sa collusion avec le pouvoir anglophone, le traitement qu'il a réservé aux femmes ? Et oublie-t-on qu'en 1960 les salariés canadiens-français étaient les plus mal rémunérés au Canada ?

Une vision rétrécie

Ces fausses perceptions procèdent d'une vision étroite du Québec ; elle prétend rendre compte de son devenir à partir de sa seule histoire, comme si elle s'était déroulée en vase clos. Elle ignore que notre société, comme toutes les autres sociétés d'Occident, évolue à l'heure et aux rythmes du monde atlantique. Elle en reflète donc les tendances et les traits principaux, les positifs comme les négatifs. Les analyses qui omettent cette référence se condamnent à des interprétations appauvries et déformées.

Comme Jacques Grand'Maison, on en vient ainsi à présenter notre société comme amorale, médiocre et décadente, affligée d'un « vide spirituel », ce dont témoignerait l'état de la jeunesse. Il faut être aveugle pour nier les valeurs très nobles auxquelles elle est pourtant attachée : démocratie, justice, égalité, respect de la diversité, environnementalisme, paix mondiale...

N'étant pas aveugle moi-même, je vois bien les carences de cette génération (tout comme celles de ma génération). Je crois moi aussi qu'il y a une importante réflexion à conduire sur la marche de notre société dans le monde. Mais l'angle et le procédé adoptés par l'auteur sont mal choisis.

Ce qui s'est perdu

J'ai une autre vision de ce qui s'est surtout perdu avec la Révolution tranquille : une société pauvre, élitiste, intolérante, dominée par les capitalistes anglophones et par un haut-clergé autoritaire allié à une classe de notables bien-pensants et condescendants. Qui voudrait y revenir ?

Le chanoine Grand'Maison est un homme éminemment respectable. On se gardera de le juger sur le discours qu'il tient depuis longtemps (« c'était beaucoup mieux avant »). C'est une pensée qui nous diminue tous injustement, les jeunes comme les moins jeunes.

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