Popularisé aux États-Unis par Audible dès 1998 en format physique, puis au début des années 2010 en format numérique, le livre audio est aujourd’hui considéré comme un format littéraire à part entière. En 2022, le marché américain du livre audio enregistrait une croissance à deux chiffres pour la 11année consécutive⁠1. En France, cette même année, sur une population de 68 millions d’habitants, on estimait à 10 millions le nombre d’audiolecteurs, selon le Syndicat national de l’édition.

Mais quel est le portrait ici, au Québec et dans le Canada francophone ? Selon plusieurs observateurs de la scène du livre d’ici, la pandémie de coronavirus aurait eu un effet générateur sur le développement du livre audio, mais d’autres facteurs ont aussi contribué à sa progression. Différents acteurs de l’industrie du livre ont investi ce marché et de nouvelles initiatives sont nées, dont Narra, une plateforme québécoise 100 % indépendante consacrée au livre audio en français, à la suite d’un soutien du ministère de la Culture et des Communications du Québec et du Fonds du livre du Canada (FLC).

Grâce à l’appui du FLC à travers son soutien à l’accessibilité entre 2018 et 2022, près de 2000 livres audio ont été produits⁠2. Malgré tout, l’offre ne suffit toujours pas à faire réellement décoller le marché.

Les éditeurs de livres et les producteurs se retrouvent face à une impasse : alors que le financement est arrivé à terme, la production de livres audio chute dramatiquement. Déjà, les amateurs de livres audio se désolent du manque de choix.

Force est de constater que notre retard face aux autres marchés persiste et s’accentue au point de devenir un véritable enjeu dans la promotion de notre culture et du français chez nous. Tandis que la taille mondiale de ce marché était évaluée à 5,36 milliards de dollars en 2021 et qu’on estime qu’il atteindra 35 milliards de dollars en 2030⁠3, le livre audio représente toujours au Québec moins de 1 % des ventes totales de livres (à titre comparatif, elles atteignent environ 10 % aux États-Unis).

Un enjeu qui dépasse le simple défi culturel

L’enjeu du sous-développement du livre audio au Québec n’est pas uniquement relié au domaine de la culture, mais aussi à de nombreux autres secteurs tels que l’éducation, l’immigration, la francisation, l’innovation et l’économie. Les livres audio peuvent d’abord être une ressource indispensable pour des jeunes en situation de troubles d’apprentissage et de dyslexie-dysorthographie. De nombreux professionnels comme les orthophonistes et les orthopédagogues l’envisagent d’ailleurs pour assister leur clientèle en difficulté d’apprentissage.

En 2016, des chercheurs américains ont tenté une expérience avec un groupe d’enfants souffrant de troubles d’apprentissage pour mesurer la portée pédagogique des livres audio. Résultat ? Le groupe test qui disposait de livres audio était trois semaines en avance sur la classe qui n’avait pas accès à la ressource.

Les livres audio s’avèrent aussi d’excellents outils pour l’apprentissage d’une nouvelle langue, surtout qu’il est possible de les utiliser de façon 100 % autonome.

Pourquoi ne pas accompagner les nouveaux arrivants au Québec et au Canada en leur donnant accès à des livres audio de façon à accélérer et rendre plus agréable leur intégration ?

Ensuite, nous ne pouvons parler des avantages du livre audio sans aborder la question de l’accessibilité. Rappelons qu’aujourd’hui, plus de 3 millions de Canadiens ne sont pas en mesure de lire des livres et des magazines imprimés en raison entre autres d’un handicap visuel, moteur ou cognitif⁠4. Le livre audio leur permet d’accéder à des œuvres de grande qualité, maintenant que la production de ce format s’est professionnalisée.

Enfin, au-delà de la littérature, rappelons que l’essor du livre audio a permis la création de nouveaux emplois dans les studios d’enregistrement sonore, de créer de nouvelles expertises et de construire des ponts entre différents secteurs culturels. Le livre audio est un format innovant qui permet aux éditeurs québécois d’accroître leur présence dans le reste de la francophonie et, par le fait même, de faire entendre des voix d’ici partout.

Le principal écueil : la concurrence étrangère

Pour que nos produits culturels et en particulier le livre audio rejoignent leurs publics, ils se doivent d’être découvrables facilement. L’écueil principal demeure l’absence de nos produits ou leur concentration sur les grandes plateformes des multinationales commerciales. Nos gouvernements se doivent d’appuyer cette industrie en émergence afin de soutenir les acteurs locaux (éditeurs, producteurs, librairies en ligne) contre la concurrence étrangère.

L’omniprésence des multinationales sur notre marché et la dilution de la culture d’ici au profit de contenus d’ailleurs, et majoritairement anglophones, sont de toutes les conversations ces jours-ci. Si les versions audio des œuvres de nos auteurs et autrices ne sont pas produites, diffusées, prêtées, ou qu’elles sont alors vendues au rabais, notre culture en ressort perdante. C’est un risque qu’il faut absolument contrer lorsqu’on constate la rapidité avec laquelle la langue anglaise dans le secteur culturel menace les contenus d’ici.

Il est donc urgent d’attaquer le problème sur deux fronts : soutenir la production de livres audio québécois et franco-canadiens et appuyer financièrement les efforts de promotion des différents acteurs du livre audio d’ici afin d’augmenter de manière significative leur découvrabilité et leur rentabilité.

1. Association of American Publishers.

2. À noter que le nombre de livres audio en français produits par les éditeurs, sans compter les productions originales d’Audible Canada par exemple, était de 73 en 2018.

3. Grand View Research.

4. De Marque, dans un communiqué publié le 30 mai 2023.

* Cosignataires : Marie-Noëlle Blais, directrice générale, Éditions Quartz ; Myriam Caron Belzile, directrice littéraire, Éditions XYZ ; Sophane Beaudin-Quintin, directeur commercial, Éditions Michel Quintin ; Jean-François Bouchard, directeur général, Éditions La Presse/Fides ; Sarto Blouin, président, Vues et Voix Livres Audio/Éditions Kampus ; Marc Boutet, président, De Marque ; Céline Comtois, directrice éditoriale francophone, Bayard Canada Livres ; Stéphane Cormier, codirecteur général et directeur de la commercialisation, Éditions Prise de parole ; Marianne Dalpé, directrice commerciale, Groupe d’édition la courte échelle ; Simon de Jocas, président, Les 400 coups ; Nycolas Doucet, Éditions ADA ; Véronique Fontaine, directrice générale, Éditions Fonfon ; Caroline Fortin, présidente, Québec Amérique ; Arnaud Foulon, vice-président, éditions et opérations, Groupe HMH ; Marie-Ève Francœur, directrice, Association Québécoise des Salons du livre ; Jimmy Gagné, fondateur et idéateur, Studio C1C4, Éditions Panda ; Cédrick Hébert, Kampus Média Inc. ; Mathieu Lacourse, président, Studio Bulldog ; Danielle Lalande, présidente, Boomerang Éditeur Jeunesse et Andara Éditeur ; Anne Migner-Laurin, éditrice, les Éditions du Remue-Ménage ; David Murray, les Éditions Écosociété ; Simon Payette, directeur général, Éditions Chouette ; Sylvie Payette, Les éditions Héritage ; Félix Philantrope, directeur général, Le Quartanier ; Richard Prieur, administrateur ; Maxime Raymond, Les Éditions de Ta Mère ; Suzanne Richard Muir, directrice générale, Les Éditions L’Interligne ; Nicole Saint-Jean, présidente, Saint-Jean Éditeur ; Antoine Tanguay, président et directeur de l’édition, Éditions Alto ; Geneviève Thibault, directrice générale, Le Cheval d’août ; Serge Patrice Thibodeau, directeur général, Éditions Perce-Neige

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