La semaine dernière, la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement contre la salle de spectacle montréalaise La Tulipe au sujet du son émanant de ses spectacles⁠1. Pour rappel, c’est un promoteur immobilier nouvellement installé à côté de la salle qui est à l’origine du litige.

Pour l’opérateur de La Tulipe, il s’agit d’une histoire « kafkaïenne ». Et pour cause : l’immeuble d’habitation voisin en question n’est autre qu’un ancien entrepôt de stockage de La Tulipe. Difficile dans ce contexte de penser que le promoteur ait pu ignorer l’existence d’activités nocturnes culturelles dans ce lieu opérant depuis 1967 lorsqu’il a fait une demande de transformation de l’usage du bâtiment pour en faire son logement… en 2016 !

Ce n’est qu’une histoire trop familière pour les lieux de diffusion montréalais. Maints autres salles, bars et boîtes de nuit sont depuis plus d’une dizaine d’années pourchassés, poursuivis et dans trop de cas fermés par un voisin mécontent, la réglementation municipale autour des nuisances sonores étant archaïque et mal adaptée pour faire face à la transformation rapide des quartiers culturels centraux ; pensons par exemple au Divan orange qui a dû fermer ses portes à la suite des plaintes quérulentes d’une nouvelle voisine.

Nous pouvons comprendre la volonté des citoyens de s’assurer d’un environnement paisible. Les résidants du boulevard Saint-Laurent ou de l’avenue du Mont-Royal devraient-ils être prêts à tolérer un niveau plus élevé de bruit ambiant ? Si oui, à quel point ?

Il existe une solution claire, une solution déjà instaurée dans plusieurs dizaines de villes en Europe, aux États-Unis et au Canada, et qui a su rétablir l’équilibre des forces en jeu.

Il s’agit du principe de l’agent de changement.

L’idée est simple : quand on développe un nouveau bâtiment dans un quartier à usages multiples, ou quand on emménage dans un nouveau quartier, il faut prendre en compte ce qu’il y a autour. Par exemple, si un développeur de condos veut s’installer en face d’une salle de spectacle établie, ce développeur est responsable de construire ses condos d’une manière atténuant le bruit pouvant émaner du lieu culturel. Pareillement, si un entrepreneur veut ouvrir une salle de spectacle dans un nouveau local, il est responsable de l’aménager d’une manière qui ne dérange pas les habitants et commerçants qui y sont déjà installés.

L’exemple de Toronto

En 2018, la Ville de Toronto a adopté le principe de l’agent de changement qui protège ses lieux culturels de poursuites pour nuisances sonores dans un rayon de 120 mètres.

Nous continuons d’inciter la Ville de Montréal, plus particulièrement les arrondissements de Ville-Marie et du Plateau Mont-Royal, où se trouve plus de 85 % des lieux de diffusion culturels montréalais, à faire de même.

Dans son jugement rendu la semaine dernière, le juge Azimuddin Hussain soulignait qu’il « n’existe pas de droit acquis à une nuisance ». Or, nous croyons que le principe d’agent de changement aurait pu modifier la finalité de son jugement puisqu’il aurait placé la responsabilité de l’atténuation de l’impact des nuisances liées aux activités de la salle de spectacle sur les épaules du promoteur responsable du nouveau développement proposé. Dans un contexte d’embourgeoisement rapide des quartiers centraux à vocation culturelle, c’est une mesure que nous jugeons essentielle pour protéger nos salles de spectacle.

Combien de lieux culturels devront disparaître, combien de conflits de voisinage devrons-nous laisser se produire avant que nous puissions régler cet enjeu de manière permanente ?

À la veille d’une politique de la vie nocturne qui sera adoptée l’automne prochain par l’administration Plante (après plus de cinq ans d’attente !), nous incitons de nouveau nos élus à se pencher sur cette solution claire, simple et équitable pour tous.

Laissons la culture vivre et adoptons le principe de l’agent de changement !

1. Lisez le texte de La Presse : « La Tulipe devra baisser le son » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion